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sur ses finances et sur ses armées, mais laisser ses généraux attendre le signal d’un conquérant étranger, mais suspendre sur notre tête la menace d’une guerre qui peut nous tomber à l’improviste par le télégraphe, et qui, en attendant, tient notre armée en campagne et pèse sur nos fonds publics, mais se préparer à recueillir l’héritage d’une déroute et attendre que l’ennemi soit vainqueur pour attaquer, c’est combler, je crois, la mesure de l’imprudence. Je me trompe, il y a quelque chose encore au-delà : c’est, au moment même où on fait ainsi dépendre sa propre sécurité des succès du roi Charles-Albert, de lui créer des embarras, en lui suscitant, par derrière et pour ainsi dire sous les pieds de ses chevaux, des intrigues républicaines. Les termes manquent pour définir justement une pareille conduite. Heureusement ils nous sont fournis par un homme qui ne reculait pas devant la crudité des expressions, quand elles pouvaient servir à rendre dans toute sa vigueur le bon sens profond de sa pensée politique. « Jamais, disait en 1797 le général qui commandait pour une autre république une autre armée des Alpes, jamais la république française n’adoptera pour principe de faire la guerre pour les autres peuples. Je sais bien qu’il n’en coûte rien à une poignée de bavards, que je caractériserais bien en les appelant fous, de vouloir la république universelle. Je voudrais que ces messieurs vinssent faire une campagne d’hiver. »

Dirait-on, pour calmer les inquiétudes que nous inspire, et à bon droit, la nouvelle division territoriale de l’Europe, ainsi accomplie sans notre participation, que les pays dont nous paraissons prendre ombrage sont eux-mêmes atteints d’une telle anarchie sociale, d’une telle faiblesse intérieure, que de long-temps le danger ne nous viendra pas de ces parages ? Cette considération ne serait pas flatteuse pour l’effet des révolutions, et d’ailleurs ce serait une politique peu prévoyante que celle qui ne saurait étendre ses regards au-delà d’un état de crise passager. Il ne s’agit pas de savoir ce qui est à craindre dans un moment de désordre où personne n’a le temps de songer à nuire à son voisin, mais dans quel état l’ordre, qui ne peut manquer de renaître un jour, trouvera les différentes puissances européennes. Les épreuves révolutionnaires comme celles que l’Europe traverse aujourd’hui sont comme de grands jeux de hasard à la fois et d’habileté : on ne voit pas clairement, pendant qu’ils durent, ni qui perd ni qui gagne ; mais c’est pendant ce temps-là que doit s’exercer le coup d’œil d’un bon joueur. Quand la partie est finie, il n’est plus temps de réclamer. S’il n’y a pas de manière sûre de gagner, il en est une parfaitement sûre de perdre : c’est de laisser son enjeu sur la table et de jeter ses cartes au hasard. Un jour viendra où il s’agira de liquider les affaires, aujourd’hui, je l’avoue, assez embrouillées, du continent, et chacun