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alors sera classé d’après la part qu’il se sera faite ou laissé faite par les événemens. Mais enfin oublions un moment l’Allemagne et l’Italie. Il y a encore en Europe deux grands états qui ne sont pas atteints par cette dissolution contagieuse de tous les pouvoirs sociaux. Croit-on que ceux-là négligent de mettre à profit la profonde distraction où nous sommes tombés sur nos affaires ? On a nommé l’Angleterre et la Russie.

Il est fort de mode aujourd’hui, et dans le parti même qui se montre le plus facile à l’endroit des agrandissement de l’Allemagne et de l’Italie, de paraître effrayé des projets d’invasion de l’autocrate, comme on dit. Je serais fâché de prêter les mains à ce sentiment, j’ai presque dit à cette tactique, car je suis convaincu que ceux qui se montrent le plus touchés des dangers d’une invasion russe ont encore trop de bon sens pour s’imaginer sérieusement que l’empereur Nicolas se mette en tête de recommencer à lui tout seul la tentative de 1792, et de traverser, le sabre à la main, toute l’Allemagne, pour arriver jusqu’à Paris. Cette supposition, je le conçois, peut être commode pour justifier la politique des révolutions à tout prix et des alliances exclusivement révolutionnaires. Il faut bien trouver quelque part un Pitt et Cobourg pour échauffer les imaginations ; mais, sans donner dans des craintes aussi chimériques que les espérances qui y correspondent, l’ambition patiente, mais infatigable, avouée, mais s’arrangeant toujours pour être irréprochable, du cabinet russe, peut suggérer raisonnablement d’autres soupçons. S’il n’est pas probable qu’il se mette à plaisir l’Europe entière sur les bras, il est plus que probable, en revanche, qu’il éprouve un grand soulagement de ne plus rencontrer l’Europe sur le terrain favori de sa politique. Il ne viendra pas nous chercher à Paris, mais il n’en est pas moins aise de ne plus nous trouver sur le chemin de Constantinople. Je m’assure même qu’avec l’intention à peine déguisée qu’on a toujours eue à Saint-Pétersbourg de réunir un jour sous le même sceptre toutes les branches éparses de la famille slave, la passion de nationalité qui s’est emparée de tout le monde en Europe, et que nous avons acceptée sans la moindre réserve, n’a rien eu de trop déplaisant. Nous avons commencé à nous en apercevoir l’autre jour, quand nous avons appris le langage impérieux tenu par les agens russes dans les provinces voisines du Danube, et M. le ministre des affaires étrangères, interpellé, s’est hâté de dire, à travers des réserves un peu embarrassées, qu’il prendrait garde que la Russie ne se servît pas du prétexte des nationalités pour sortir des limites qui lui sont imposées par le traité d’Andrinople. Que dirait pourtant M. le ministre, si le gouvernement russe, en réponse à cette observation, lui rappelait qu’il ne ferait, en ce cas, exactement que ce qu’ont fait, sans observation de