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et des voluptés comme de la souveraineté humaines. C’était crier à des affamés : « Vive la joie ! » Aussi, quelle éruption d’épicurismes effrénés, de haines ardentes et de vanités sauvages, réclamant l’égalité des orgies, la souveraineté et la volupté ! Ce ne sont point les destinations de l’homme ; il trouve ailleurs sa noblesse. Il est né pour la lutte, mère de la force, et pour la sainte et noble résignation. Il ne peut que réparer et combattre. C’est son honneur.

— Vous prêchez l’abaissement.

— Je prêche l’ennoblissement par l’humilité ; vous nécessitez l’avilissement par l’orgueil.

— Votre doctrine fait des esclaves.

— Elle fait des hommes qui reconnaissent leurs limites et leurs droits. À quoi la souveraineté de tous, interprétée dans le sens de la toute puissance de chacun, peut-elle aboutir ? Au carnage. Comment la religion de chacun envers lui-même, la foi de chaque esprit de travers en son bon sens et de chaque homme médiocre en sa grandeur n’entraînerait-elle pas l’universelle nullité et l’universelle misère ? Ce que nous venons de voir vous désabusera-t-il enfin ? Quand la crédulité s’est brisée contre le possible et le réel, toute sanglante et mutilée, vous voulez qu’elle ne vous tue pas ? mais c’est trop lui demander ! De même qu’au temps de saint Jérôme et de saint Augustin, la folie de la croix, l’ardeur de l’abnégation et de l’anéantissement humains, couvraient de bizarres essais l’Europe civilisée, quand Origène se mutilait, quand Salvien se mariait sous la condition de la chasteté absolue, quand l’ascétisme poussé jusqu’au délire renouvelait les destinées de l’Europe, — de même aujourd’hui, dans l’immense révulsion qui s’accomplit, devenus dieux, tous tant que nous sommes, nous subissons le suicide de notre orgueil titanique et de notre fausse omnipotence. Notez-le bien, ce n’est point au peuple que j’impute cette folie, c’est à vous, hommes de plume et de parole. Le peuple n’est que la victime des rhéteurs.

— Je vous passe toutes ces déclamations, reprit Arnaud avec une parfaite placidité ; je sais que vous êtes sincère et que votre rigidité. quant aux doctrines ne vous empêche pas d’être indulgent et bienveillant pour les hommes. Selon vous, et c’est la théorie chrétienne, l’homme est mauvais. Dieu l’a créé pour cela. Ainsi Dieu est le bourreau de l’humanité : c’est commode, toutes les oppressions sont justifiées.

— Je n’ai pas dit un mot de cela, et je n’en pense pas un mot.

— Quoi qu’il en soit (et nous reviendrons sur ces points fondamentaux), à côté des remèdes matériels dont vous avez signalé quelques-uns bons pour Paris seulement, quels seraient vos remèdes moraux et intellectuels ? Comment changeriez-vous ce que vous appelez le flot des idées ? et, si ce flot est empoisonné, comment s’y prendre pour l’épurer