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et l’assainir ? Prétendez-vous agir en dehors des idées démocratiques ? Je vous en préviens, vous ne feriez rien aujourd’hui sans elles. La démocratie est seule possible et seule sacrée.

— Ce n’est pas la démocratie qui empoisonne les idées, ce sont 1es faux principes qui empoisonnent la démocratie. L’admission de tous, à titre égal, dans la civilisation agrandie, n’est-ce pas la démocratie même ? Acceptée comme progrès, non comme décadence, elle doit élever et non abaisser. Ce qui ne rend pas le pays plus fort, l’individu plus heureux, la richesse plus abondante, n’est pas démocratique. À quoi bon la souveraineté d’un peuple qui serait ignoble et lâche ? il ne se commanderait à lui-même que des actions lâches et ignobles ; ce serait acheter trop cher une immense perte. Vous qui m’accusez d’être sévère, ne voyez-vous pas que vous calomniez la démocratie en l’associant à l’envie, à l’abjection et à l’instabilité ? Ne donnez pas les vices de l’espèce humaine pour la nécessité inhérente aux institutions. Envieux, jaloux, puéril, capricieux, ennemi des supériorités et des forces, si vous êtes tout cela, ne dites pas que vous êtes démocrate, dites que vous êtes nuisible. Quant aux remèdes, il y en a de matériels, d’intellectuels, de moraux ; tous démocratiques dans le vrai sens du mot, ils doivent élever, épurer et améliorer l’espèce ; les premiers, les remèdes matériels, passagers et à fleur de peau, ne peuvent être regardés que comme des préparations, mais ils sont d’urgence, ou plutôt le moment de l’urgence est passé. C’est le lendemain de la révolution de février qu’il fallait appeler tous les chefs d’industrie de France pour leur ouvrir un fonds de secours, une caisse de prêt et leur commander de vastes travaux : défrichement, canalisation, constructions, chemins de fer, certes les objets ne manquaient pas. On aurait, à ce prix, rattaché à la patrie cette foule d’hommes qui l’exècrent comme une marâtre, car la patrie ce n’est pas le sol, la terre et le ciel ; c’est l’amour, c’est le lien social, la commune sympathie ; quiconque maudit la société maudit sa patrie, maudit sa mère. La démocratie véritable est une science si profondément inconnue de nos gens d’état, qu’au lieu d’employer ce moyen si simple et si naturel, on a mis en œuvre les ressorts les plus violemment despotiques, les plus absurdement arbitraires et les plus avilissans. On a parqué les hommes comme des porcs à l’engrais, et on leur a donné la prime de l’indolence et de la haine. C’était la prime du labeur, de l’honnêteté et de la capacité qu’il fallait leur offrir. La réinstitution du livret pour l’ouvrier aurait suffi. Tout bon ouvrier qui aurait travaillé tant d’heures de plus ou achevé de plus considérables tâches que ses confrères aurait reçu du patron une prime proportionnelle que l’on aurait imputée sur l’intérêt des sommes prêtées, intérêt que l’état aurait consenti à perdre. Cet intérêt, très faible, deux ou trois pour cent, payable par les patrons et les