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très alarmé, rappela dès-lors à Constantinople les régimens de la garde dispersés en Asie mineure, et donna contre-ordre aux troupes qu’on embarquait pour Tripoli. M. de Titow avait pourtant dénoncé la mesure militaire de son gouvernement comme un gage de ses intentions pacifiques.

C’est encore avec ce langage insinuant que les négociateurs russes ont, petit à petit, rapproché leurs troupes de la frontière des principautés jusqu’à ce qu’ils n’eussent plus qu’un pas à risquer pour la franchir. Nous avons naguère, ici même, cité l’épître bienveillante adressée par M. de Nesselrode à l’hospodar Stourdza, pour le prévenir que l’intérêt dont sa majesté impériale entourait les possessions du sultan, son allié, ne lui permettraient pas d’y laisser paraître aucun des désordres du temps. Le czar a tenu parole au premier mouvement, aussitôt que les deux hospodars de Moldavie et de Valachie ont disparu dans l’essai malencontreux d’une révolution avortée. Il faut renoncer à dépeindre l’activité des agens moscovites durant tous les préliminaires de cette lutte si tôt terminée ; avoir remuer le général Duhamel et M. de Kotzebüe, on s’apercevait bien que leur siège était fait. Nous plaignons sincèrement les jeunes Roumains réfugiés maintenant dans les Karpathes après cette tentative désespérée. On peut leur reprocher d’avoir appelé sur leur pays une lutte qu’il était incapable de soutenir, d’avoir voulu trop brusquement élever la masse de leurs pauvres compatriotes au niveau de l’éducation qu’ils ont eux-mêmes reçue parmi nous ; mais nous concevons trop l’intolérable supplice que la condition faite à leur pays devait infliger à ces âmes généreuses. Qu’est-ce qu’un hospodar roumain ? C’est un gouverneur russe, qui, ayant acheté sa place à Constantinople et à Saint-Pétersbourg, contracte des obligations courantes vis-à-vis des ministres russes et de leur maison. Il a tout à côté de lui un consul russe qui lui servirait de censeur, s’il s’avisait d’une bonne inspiration, et qui, généralement, n’a rien autre chose à faire que de lui prêter aide et appui dans toutes les mauvaises manœuvres par lesquelles il peut se rendre impopulaire. C’est là le gouvernement qui vient de succomber ; la Turquie obtiendra-t-elle enfin qu’on y change quelque chose en le restaurant ?

Tels sont les procédés de la Russie à l’extrémité méridionale de cette ligne d’attaque dressée par sa diplomatie. Au centre, elle s’y prend d’une façon moins directe, et qui entraîne une moindre responsabilité. Ses démarches sont plus couvertes ; elle n’a pas tant à travailler pour que les événemens lui profitent. Au centre sont en effet serrées ces populations slaves de l’Autriche et de la Prusse, qu’une propagande acharnée entreprend, depuis quelque années, de réunir et de confondre, en vertu des affinités d’une même race. Nous croyons qu’il y a dans le panslavisme un élan naturel et spontané, supérieur à toutes les intrigues, et qui, par conséquent, ne leur doit rien. Nous croyons même très volontiers que la Russie n’a pas l’envie positive de réunir sous son sceptre tous ces territoires, dont l’étendue matérielle contrarie fatalement l’agglomération : il n’y a que des érudits aveuglés qui puissent rêver un Nicolas empereur des Slaves. Le grand labeur moscovite, un labeur que l’on ne connaît point assez en Europe, dont on ne se figure point du tout les difficultés, c’est l’œuvre d’identification poursuivie par la bureaucratie impériale pour assimiler entre eux les élémens hétérogènes de la Russie. Cette identification comporte déjà trop d’obstacles pour qu’on veuille en ajouter d’autres. Ce qu’on voudrait donc au centre de l’Europe, comme on le veut au midi, ce serait encore une extension d’in-