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l’audacieux curé avec son visage vert d’olive, couleur d’une bouteille de Madère. Singulier mélange de hardiesse et de raillerie, de jovialité et de courage intrépide ! Je le vois dans son costume de généralissime, avec son habit bleu à revers blancs et sur sa poitrine la grande médaille de la Vierge. Par malheur, s’écrie Jago, c’était un détestable général ; ce sont ses ordres qui nous ont perdus. — La suite du récit n’est pas moins vive : quelle cruauté bigote chez le général espagnol Calléjal que de sang dans les rues de Guanajuato ! femmes et jeunes filles, livrées à la brutalité du soldat espagnol, gisent au milieu des cadavres de leurs frères. Ce récit fait par le muletier, au milieu des montagnes où se sont réfugiées les bandes du curé Hidalgo, est d’un effet terrible. Chacun des traits du tableau atteste la sûreté d’un maître ; c’est Mérimée traçant le vivant portrait de Carmen et des bohémiens des Sierras.

Le roman se termine par l’humiliation du vice-roi et la victoire diplomatique de Condé de San Yago. Le chef de l’aristocratie créole est un habile négociateur, qui a mieux aimé vaincre son ennemi dans l’ombre que d’en triompher sur un champ de bataille. Il sait bien qu’une victoire trop complète serait périlleuse et ouvrirait la voie aux partis extrêmes. Or, le vice-roi trahit son maître ; tandis que la monarchie d’Espagne se débat et s’affaisse sous la honteuse administration du prince de la Paix, don Vanégas négocie avec Joseph Bonaparte pour lui livrer le Mexique. Ce secret, Condé de San Yago l’a découvert, et le vice-roi, qu’un seul mot peut perdre, est obligé de se soumettre aux conditions qu’on lui impose. Cependant le parti des créoles n’est pas satisfait de sa victoire ; des concessions et des privilèges, ce n’est pas assez ; les créoles aspirent à l’autorité tout entière, ils prétendent secouer le joug de l’Espagne et constituer un pouvoir qui soit à eux. Tous les yeux sont fixés sur Condé, toutes les ambitions veulent allumer la sienne ; pourquoi hésite-t-il ? pourquoi n’a-t-il pas foi dans sa fortune ? Mais lui, grave et inflexible, il contient l’impatience de ses amis. Moins irréfléchie, son ambition est plus haute ; il songe à fortifier l’aristocratie créole, à lui donner les mâles vertus qui confèrent l’autorité ; il voit déjà se relever pour elle le vaste empire de Montézuma. Projets grandioses, poétiques illusions, qui attestent encore, chez ce prudent esprit, la vieille vanité espagnole ! C’est au milieu de ces chimériques espérances que l’auteur se repose, et cette fin, quand on sait ce qui va suivre, exprime à merveille l’état de ce pays où les plus sages même sont le jouet de leur imprévoyance. M. Sealsfield aurait pu nous montrer Condé de San Yago, dix ans plus tard, assistant à la tentative impériale de don Augustin Iturbide, et, l’année suivante, à l’établissement de la république mexicaine. Ce grand parti, que le chef créole espérait fonder, nous aurions vu son impuissance et sa chute. Mais à quoi bon insister ? cette histoire habilement interrompue, ce triomphe dont on profite en