ne peut atteindre le bras vengeur de la société, et nous laissâmes le vieux trappeur.
« Au bout d’une ou plusieurs années, ces trappeurs reviennent toujours dans le sein de la civilisation, au moins pour quelques semaines, dès qu’ils ont amassé une quantité suffisante de peaux de castor. Ordinairement, ils abattent un arbre creux dans le voisinage ou sur les bords d’une rivière navigable, le rendent impénétrable à l’eau, le tirent dans le courant, y chargent leurs peaux et quelque peu d’effets, et rament des milliers de milles sur le Missouri, l’Arkansas et la Rivière Rouge, jusqu’à Saint-Louis, Natchitoches ou Alexandrie. Là, quand ils parcourent les rues dans leur costume de peaux de bêtes, à cette apparition inattendue, l’étranger sent son imagination transportée au fond des âges primitifs. »
On a remarqué, dans cette énergique ébauche, la précision et la hardiesse d’un peintre exercé. Le journal de George Howard contient beaucoup de richesses du même genre. Je recommande les poétiques descriptions du Mississipi, l’effrayant tableau de l’embouchure de la Rivière-Rouge, les courses rapides des bateaux à vapeur le long de ces forêts où croissent, à côté des chênes sombres, les grands magnolias parés de leurs magnifiques fleurs blanches. On respire dans ces brillantes pages toutes les vives senteurs d’une végétation puissante. Et puis, n’oubliez pas qu’au milieu de ces peintures si variées se déroule tout naturellement l’aimable histoire de George Howard. Il lui en coûte, au pauvre George, de revenir seul sous son toit, et de n’être reçu au seuil que par ses commis et ses noirs. Malheureux à New-York, il n’a pas été mieux accueilli sur les bords du Mississipi ; aussi le récit de ses aventures est-il animé d’une tristesse douce, et de cette espèce d’humour dont Jean-Paul a donné le modèle. Pourtant ne soyez pas inquiet, le poète lui réserve de précieuses consolations. George Howard n’aura pas vainement accompli ce long pèlerinage, il ne reviendra pas seul dans sa plantation ; M. Sealsfield lui fait traverser la Louisiane, où une jeune fille d’origine française, une vive et charmante créole, va réparer pour lui les erreurs et les injustices du sort.
Il paraît que ces sortes de voyages sont fréquens aux États-Unis, et que les jeunes planteurs, après avoir donné une direction active à leurs établissemens agricoles, quittent volontiers leur solitude et vont chercher une compagne dans les villes de la contrée. Ce cadre qui lui a si bien réussi, M. Sealsfield le reprend dès le second volume des Scènes de la vie américaine. Après le Voyage de George Howard, voici le Voyage de Ralph Doughby. Seulement, Ralph Doughby ne ressemble pas à George Howard ; Doughby est un habitant de Kentucky, il est né sur ces frontières où l’homme, toujours aux prises avec les sauvages, aux prises avec une nature redoutable, prend l’habitude de la haine et de la violence. Si les citoyens du Kentucky ont aujourd’hui d’autres argumens que le pistolet ou le poignard pour abréger les discussions