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politiques, ils n’en ont pas moins conservé, dit-on, une singulière rudesse. Ainsi, au lieu du doux et mélancolique George Howard, l’homme que nous allons suivre dans ses pérégrinations amoureuses est un caractère primitif que rien n’a pu encore assouplir ; c’est une nature brusque, impétueuse, altière, au demeurant le meilleur fils du monde. Il y a beaucoup de cœur, en effet, sous cette grossière écorce, et nous verrons le violent fils du Kentucky s’adoucir peu à peu dans un monde plus sociable. L’auteur a voulu peindre un de ces sauvages à demi civilisés que l’expérience des hommes et les saintes lois de la famille transforment insensiblement. Ce joli tableau de genre forme un gracieux pendant au voyage de George Howard, et en même temps que le pinceau du peintre trouve encore sur les bords du Mississipi maintes richesses fécondes, la fine analyse du conteur fait circuler dans le roman une véritable grâce morale. Ces tableaux domestiques se lient d’ailleurs à ceux dont nous venons de parler. Notre ami George Howard est un des acteurs du récit, et c’est la sœur de Mme Howard qui est chargée par l’auteur d’achever l’éducation de Ralph Doughby. Avec les piquantes scènes d’intérieur et les poétiques paysages, je signalerai dans ce livre de curieux épisodes politiques, les luttes des deux partis et les étranges incartades de Ralph Doughby, qui est bien, comme on pense, le plus enragé des Jacksonmen. Si vous voulez connaître les mœurs publiques des États-Unis et les nuances diverses du patriotisme américain, ces vivans détails valent mieux que les plus savantes dissertations.

Après avoir marié George Howard et Ralph Doughby, M. Sealsfleld les ramène sous le toit domestique, et l’existence des planteurs va devenir pour lui un fertile sujet d’observation ?. Nous sommes en Louisiane, dans la nouvelle famille de George Howard ; le livre que nous avons sous les yeux, la Vie des Planteurs, est la continuation de son journal. C’est toujours, comme on voit, le même cadre sans prétention, la même forme simple et souple où l’auteur introduit avec art un fidèle portrait de la société transatlantique. De nouveaux personnages vont entrer en scène ; toutes les traces de nos ancêtres n’ont pas disparu dans la Louisiane ; il y a là encore un grand nombre de familles françaises, les unes qui datent des premiers temps de l’occupation, qui ont hérité des héroïques souvenirs du chevalier de La Salle, les autres qui s’y sont réfugiées pendant la tempête de 89. Ce sera pour M. Sealsfield une source de contrastes habiles, et l’impartialité de l’artiste fera taire les rancunes que nous avons blâmées dans Morton. Cet antagonisme de races amènera des enseignemens de la plus haute poésie. Tel est, par exemple, le dernier roman de cette série, le récit vraiment épique qui suffirait à consacrer le nom de M. Sealsfield, Nathan ou le premier Américain dans le Texas.