Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

idée inspire à M. Sealsfield une suite de pages admirables. Les assemblées populaires, la justice rendue en commun, la pratique enfin des lois républicaines, pratique grave, sévère, et empreinte d’un caractère religieux, ce sont là de ces peintures vraiment originales qui réussissent toujours à M. Sealsfield. Soutenue par une foi ardente dans les institutions de son pays, l’imagination de l’auteur y déploie une vigueur nouvelle. Le drame d’ailleurs, quoique moins vif, ne faiblit pas ; l’idée de conquête est toujours présente au milieu de ces pacifiques tableaux, et ces planteurs occupés à défricher le sol ne sont peut-être pas moins hardis que les pionniers du blockhaus. Considérez que cette commune, avec son suffrage universel et ses lois démocratiques, est placée sur le sol mexicain et qu’elle y plante le drapeau des États-Unis sans se soucier de l’autorité espagnole. N’est-ce pas aussi une lutte morale pleine d’intérêt que cette éducation de nos gentilshommes sous la mâle discipline de Nathan ? Brusqué et séduit tout ensemble, le comte de Vignerolles s’éveille à une vie qu’il ne soupçonnait pas. S’il est souvent froissé des rudes paroles du squatter, les grands spectacles qui frappent ses yeux transforment insensiblement son esprit. Nathan, si peu hospitalier d’abord, est plein d’une cordialité austère dès qu’il a foi dans l’honnêteté du nouveau venu. Fondateur et chef de la colonie, il prottègetout étranger qui peut lui faire honneur, et le défend avec courage dans le tumulte des meetings populaires. Une scène charmante est celle où tous les colons, sous le commandement de Nathan, donnent au comte quelques journées de travail, et lui construisent une belle et commode habitation sur les domaines qu’il vient d’acquérir. Tout cela se passe à la fin du XVIIIe siècle, au moment où la révolution française creusait un abîme éternel entre le passé et l’avenir du monde. Là aussi, dans cette colonie de la Louisiane, c’était le passé et l’avenir, c’était l’ancien régime et la démocratie qui se trouvaient face à face, représentés par Nathan et M. de Vignerolles. J’ai déjà dit que les personnages de M. Sealsfield, sans perdre jamais la précision d’un caractère individuel, atteignent à des proportions idéales, et confinent au symbole ; la plus belle assurément de ces poétiques créations, c’est le grand seigneur de la cour de France converti à la vie démocratique, c’est M. le comte de Vignerolles devenu le disciple, l’ami, le prosélyte passionné du républicain Nathan Strong.

Cependant un événement inattendu vient jeter le trouble dans la colonie. Vers 1802, la Louisiane fut livrée par l’Espagne à la France, et, le 30 avril 1803, Bonaparte la vendait aux États-Unis pour 1 5 millions de dollars. Bonaparte avait eu soin de stipuler que tous les établissemens des colons autorisés par l’Espagne et la France seraient reconnus par le gouvernement américain. Cette condition, qui protégea tant de familles contre les exigences des nouveaux maîtres, ne profita pas à