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modeste somme de 580 millions. Le comité des finances crut devoir prendre au sérieux ce fabuleux plan financier, et, par l’organe de M. Sainte-Beuve, il fit à l’assemblée un rapport sommaire, mais qui avait le tort de ne pas qualifier assez sévèrement de pareilles divagations. Ce rapport démontrait que le budget ordinaire rectifié de 1848, au lieu de solder par 4,700,000 fr. d’excédant, offrait un déficit d’environ 114 millions, et que l’ensemble des ressources extraordinaires qui devait produire 580 millions devait se réduire à 250 millions.

Nous ne discuterons pas le chiffre de cette réduction, encore trop faible, comme la suite l’a prouvé ; mais si, à cause des circonstances que le gouvernement provisoire avait eu à traverser, l’assemblée s’était montrée bien indulgente à l’égard de l’exactitude des chiffres et de l’appréciation des ressources de l’exposé fait par M. Garnier-Pagès, elle ne pouvait tolérer au mois de juin un ministre des finances sujet à commettre des erreurs comme M. Duclerc. Ce fut donc avec une double satisfaction que l’assemblée accueillit la nomination de M. Goudchaux. L’opinion publique, d’accord avec la représentation nationale, ratifia le choix du général Cavaignac. On espérait qu’une ère nouvelle allait s’ouvrir, que quelque chose de sérieux, d’honnête, allait remplacer les folles imaginations, les présomptueuses divagations de MM. Garnier-Pagès et Duclerc, et que le règne des réalités allait succéder au règne des chimères et des déceptions. Les républicains de la veille avaient fait leur temps au ministère des finances ; ils avaient montré ce dont ils étaient capables en dirigeant le trésor ; un républicain du lendemain leur succédait aux acclamations de l’opinion publique. Jamais ministre n’arriva sous de meilleurs auspices ; il jouissait d’une haute réputation d’intégrité, d’honnêteté, que sa démission au mois de mars, devant les exigences de certain membre du gouvernement provisoire, avait rendue plus éclatante encore. Quant à sa capacité comme financier, on en parlait favorablement sans la connaître encore ; mais, d’une part, il était facile de faire beaucoup mieux que ses prédécesseurs, et de l’autre, sa ligne de conduite se trouvait naturellement tracée.

L’assemblée nationale avait confié l’examen de toutes les questions financières à un comité qui renfermait dans son sein les hommes les plus éminens, les plus éclairés, réunissant les lumières de l’expérience aux conceptions les plus hardies de la science. Il y avait là un grand point d’appui, un auxiliaire puissant pour le ministre qui saurait s’entendre avec cette réunion d’hommes pratiques et jouissant d’une juste popularité pour les preuves d’habileté données dans les précédentes assemblées législatives ou dans l’exercice du pouvoir. M. Goudchaux parut vouloir agir ainsi ; ses premiers actes, marqués au coin d’une véritable entente des affaires et de la situation, eurent pour but de réparer les injustices et les spoliations du passé, et reçurent une approbation