Hamlet ? Il n’est pas jusqu’à ces scènes de Jules César, où le poète décrit d’un trait puissant la mobilité ardente, l’inconstance passionnée de la multitude ameutée sur la place publique, qui ne viennent contredire l’idéal populaire caressé par les précurseurs de la révolution française. Le XVIIIe siècle se faisait une humanité philosophique et abstraite ; Shakspeare voyait l’humanité réelle, et il la peignait comme il la voyait, comme il la sentait parfois avec son génie, dans ces alternatives de grandeur et d’abaissement si fortement caractérisées par Pascal. Au milieu de tant de causes diverses de confusion, ce serait pourtant une erreur de croire qu’il n’y eût point au XVIIIe siècle, dans beaucoup d’esprits, un savoir réel et étendu, que la sphère des connaissances littéraires ne se fût pas sensiblement agrandie, qu’il n’y eût point, au sein de tout ce travail intellectuel, un juste pressentiment de cette loi supérieure de la critique qui consiste dans la comparaison des littératures. Il serait facile de trouver, dans plus d’une publication oubliée et pleine de cet intérêt varié qui s’attache aux curiosités littéraires, la trace d’une préoccupation attentive de tout ce qui se produisait au dehors. On s’étonnerait peut-être de rencontrer dans certains journaux du XVIIIe siècle, assez superficiellement connus, des notions vraies, judicieuses, nouvelles, sur des questions de littérature peu éclaircies encore. N’a-t-on pas observé que les poèmes de Crabbe même avaient eu en France, avant la révolution, des lecteurs et des juges ? Il y a jusqu’à des recueils spéciaux consacrés à l’étude des littératures étrangères, et l’un d’eux, le Journal étranger, dès 1754, s’inaugure par ces remarquables paroles : « Les productions de la terre, dit-il, varient selon les climats, les productions du génie selon les caractères, celles de l’art selon les besoins, et c’est en étudiant les rapports des unes et des autres qu’on peut surtout étendre et généraliser les connaissances humaines, déraciner les préjugés, naturaliser, pour ainsi dire, la raison chez tous les peuples, et lui donner partout une certaine universalité qui semble lui manquer encore. » Ces paroles ne pourraient-elles pas servir d’épigraphe à l’étude la plus largement comparative des œuvres et des mouvemens de l’intelligence humaine ? Quant à Voltaire lui-même, la plus brillante, la plus vivante personnification du XVIIIe siècle dans ses hardiesses heureuses comme dans ses écarts, prenez garde de toucher à ce merveilleux Protée, qui avait le don de rester vrai, même lorsqu’il se trompait, selon l’ingénieuse hyperbole de M. Villemain. Cet homme, qui a commis tant d’erreurs, jugées et rectifiées depuis long-temps du reste, qui a pu jamais l’égaler en promptitude et en étendue d’esprit ? qui a jamais eu plus que lui cette curiosité active, cette ardeur voyageuse qui va d’une contrée à l’autre, d’un objet à un autre objet, qui aime à se nourrir de mille connaissances diverses, sans rien approfondir, il est vrai, effleurant tout, mais laissant tomber sur chaque chose un rayon
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