Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je crois, continue-t-il en revenant sur ses pas, que je l’ai laissée à Navarin ; je ne te raconterai pas notre petite incursion en Grèce. C’est si bête de raconter, surtout quand on parle de quelque chose que l’on a vu avec plaisir ! Je me contenterai de t’apprendre que nous sommes allés de Navarin à Napoli de Romanie par mer, que là nous avons pris avec nous une escorte que nous a donnée le comte Capo d’Istria, que nous avons vu Argos, Corinthe, Megare, Athènes et les lieux intermédiaires où il y avait des antiquités, que nous sommes restés trois jours dans cette dernière ville et qu’ensuite nous nous sommes embarqués pour Candie, que nous y avons relâché un jour et que nous voici au terme de notre voyage par mer, grâce au ciel. Je ne te dirai pas que la Grèce est un pays charmant, bien cultivé, bien boisé, peuple d’habitans doux et hospitaliers : je mentirais ; mais je te dirai que cest un pays d’un caractère superbe, hérissé de rochers arides, mais d’une forme imposante, avec des plaines désertes, mais d’une grandeur et d’une beauté magnifique, et couvertes de broussailles, de lauriers roses tout en fleurs, de myrtes et de thuyas, que les habitans y sont voleurs, canailles, mais qu’ils ont des têtes et des attitudes fort imposantes, qu’il y a des ruines superbes

Cependant tout cela n’est rien comparativement à la partie de l’Égypte où nous sommes. Les ruines y sont peu importantes, mais les habitans sont la chose la plus extraordinaire que j’aie jamais vue. Il y a des figures parmi eux qui sont absolument semblables à celles que les anciens Égyptiens cherchaient a imiter dans leurs sculptures. »

La Grèce et ses nobles sites obtiennent, on le voit, de notre artiste un légitime tribut d admiration. Pourtant, dès qu’il met le pied sur le rivage d’Alexandrie, on sent qu’il aborde à sa terre natale, a la patrie réelle de son talent ; il s’étonne, il se récrie et ne procède que par exclamations. La vue de cette foule si pittoresquement drapée, si sale et si brillante, si bariolée et si diverse, l’enchante et le ravit. Justement le pacha convoque son armée, et il y a la une collection de types à faire devenir un peintre fou de joie. Les Cophtes, tels encore que les couvercles des momies nous les représentent, les habitans du Sennàar et du Dartour, les Abyssins, les Gallas, les gens du Dongola, ceux de l’oasis d’Ammon, les Arabes de l’Hedjaz, les Turcs, les Maugrabins, posent tour à tour devant l’artiste. Autour de la ville, des cahutes basses en briques et couvertes de plusieurs doigts de poussière mamelonnant la plaine, comme autant de verrues, contiennent les familles des soldats. Des femmes fauves comme des statues de bronze, vêtues à peine d’une chemise bleue, entrent dans ces tanières en courbant la tête ou en sortent portant quelque vase de terre et traînant quelque enfant tout nu. Quel plaisir et aussi quel regret pour Marilhat, qui voudrait dessiner des deux mains et quarante-huit heures par jour ! mais laissons-le parler plutôt lui-même.