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l’heure de notre garde, nous n’ouvrions guère les yeux jusqu’au lendemain. Puis c’était à recommencer, alors on s’appelait, on chargeait de nouveau, et en avant !

« La Syrie, en grande partie, je l’assure, est terrible à traverser en été. C’est un pays aride et sec, qui fait mal à voir. Seulement, dans les montagnes du Liban, il y a une belle végétation, mais rien comme notre France. Si tu veux savoir au juste ce que c’est que la Syrie, c’est la partie aride de notre province (l’Auvergne) en laid… Les belles parties, qui sont extrêmement rares, sont mille fois plus belles que les jardins d’Hyères, sans culture s’entend : cela se trouve seulement quand il y a de l’eau : alors c’est une place d’une lieue et souvent moins…. puis tout est désert. Je ne te parle pas de tout cela en artiste ; j’ai mal à la tête, et je ne vois pas les choses en beau. »

Dans une autre lettre, où il félicite ironiquement son frère d’avoir été promu au grade de lieutenant de la garde nationale, à Thiers, nous retrouvons ce passage remarquable. Rassasié de palmiers et de végétations tropicales, il recommande, si l’on veut lui faire plaisir, de planter à Sauvignac. près de la serre du jardin, des saules pleureurs, et de faire nettoyer la petite allée du bois. « …. Lui, il est là, continue-t-il en parlant de son frère avec une vivacité d’images qui le met en présence des objets, il va se promener de bonne heure par une de ces journées d’automne si agréables, où le brouillard du matin vous enveloppe comme un songe, où l’on parcourt, sans penser où l’on va, les charmans sentiers des bois, où l’on respire, en gonflant sa poitrine, cette atmosphère fraîche et mélancolique, où l’on n’entend que les feuilles mortes qui tombent avec un léger frôlement comme un regret des beaux jours, et de temps en temps le cri saccadé et moqueur du merle qui s’enfuit ; alors son chien fera quelques pas brusquement en avant, et puis, après avoir interrogé son maître, il retournera à sa place accoutumé reprendre son allure trottinante. je me souviens de tout cela : je me rappelle tout jusqu’au pli-des-Grives, jusqu’au cigare fumé tranquillement sur ! es Tertres de Bontest, en face de cette nature douce et calme et de cet horizon si gai et si plein de bonheur. Dis-lui qu’ici tout est grand, haut, sublime, mais tout est aride ; c’est dénudé de végétation, encore plus pelé et plus monotone que les vastes bruyères de nos montagnes. Ici (je veux dire en Syrie), toute la vegétation semble avoir été comnve brûlée et réduite en cendre, sans perdre sa forme, par le souffle empesté d’un mauvais génie. La seule variation, c’est des chemins étroits et tortueux taillés sur une base de craie blanche, ou quelques éboulemens de terrains, comme si la nature n’y était pas encore assez nue et qu’on ait voulu lui arracher par force son dernier vêtement en lambeaux. Partout la même misère. Quand ce ne sont pas des bruyères, des chardons, ce sont des pierres tombées là