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pas qu’aujourd’hui il est à peu près impossible au trésor de faire face à une indemnité réellement équitable ; mais, quand il a résolu la question de l’abolition de l’esclavage, le gouvernement n’avait-il pas à songer que son devoir, en cette circonstance, serait double ; que s’il avait à accomplir un acte d’humanité vis-à-vis des noirs, il avait aussi à accomplir un acte de justice vis-à-vis des blancs ? Ces deux obligations étaient corrélatives, et, à moins de vouloir la ruine des colonies, on ne devait point les séparer.

Il est donc vrai de dire que l’indemnité accordée est dérisoire : elle ne compense pas à moitié le dommage causé. Il serait plus séant, si on veut échapper à une accusation d’hypocrisie, de donner un autre titre à la somme qu’on se propose de répartir sous ce nom.

Nous avons dit dans quelle mesure nous apprécions le droit des colons à une indemnité. Nous regrettons profondément l’impuissance du gouvernement à y satisfaire. Cependant la question, déjà si grave sous le rapport moral, ne l’est pas moins sous celui de notre avenir colonial. Tous les esprits sérieux qui l’ont étudiée n’y ont pas vu seulement une réparation du préjudice souffert par l’ancien propriétaire, mais un moyen de faire arriver des capitaux dans les colonies, au moment où elles doivent en avoir le plus grand besoin. C’est, en effet, une grande révolution pour la production coloniale que la substitution du travail volontaire au travail forcé, que la nécessité de se procurer, par le salaire, des ouvriers qui précédemment ne coûtaient que des frais d’entretien. C’est en se plaçant à ce point de vue que la commission des affaires coloniales, invoquant l’intérêt économique en même temps que l’équité, était arrivée à proposer une large indemnité. Sa base était la valeur moyenne des noirs de tout sexe et de tout âge dont se compose la population servile des colonies. Cette moyenne était déterminée par les prix stipulés pour la transmission des esclaves à certaines époques de leur vie, c’est-à-dire de un à treize ans, de quatorze à vingt ans, de vingt et un ans à quarante ans, de quarante et un ans à cinquante ans, de cinquante et un ans à soixante ans. Ce relevé, fait dans les études de notaires et aux greffes des tribunaux des colonies, puis contrôlé aux archives du ministère de la marine, était divisé en trois périodes de cinq ans chacune : la première de 1825 à 1829, la seconde de 1830 à 1834, la troisième de 1835 à 1839 inclusivement. Il donnait pour résultat une moyenne approximative de 1,200 francs, et élevait par conséquent l’indemnité due pour 250,000 esclaves à 300 millions. La commission des affaires coloniales proposait de payer immédiatement la moitié de cette somme, soit 150 millions, et d’accorder aux colons, comme complément de dédommagement, une prolongation de travail gratuit, qui devait durer dix années après la proclamation de l’affranchissement. Le gouvernement anglais n’a été ni moins juste ni moins libéral. Le fonds d’indemnité a été réparti entre les colonies