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frappé d’une taxe prohibitive de 155 francs. Aussi, sous cet abri, le producteur colonial a-t-il obtenu pour sa denrée, sur le marché de la mère-patrie, un prix qui s’est élevé d’une manière sensible. Ainsi le prix du sucre qui était, avant l’abolition de l’esclavage, de 27 shell. 7 d. 1/4 ; en moyenne (distraction faite des droits), s’est élevé, pendant les premières années du régime de liberté, jusqu’à 44 shell. 1 d. 1/4.

Enfin nous devons dire que le commerce anglais a trouvé d’autres adoucissemens. Sous l’influence de la réforme sociale, il s’est présenté à lui un plus grand nombre de besoins à satisfaire. Les nouveaux libres, qui avaient fait des épargnes considérables pendant leur esclavage, se sont précipités avec ardeur vers toutes les jouissances d’une vie aisée et même riche. Il a été constaté que les noirs de la Jamaïque, le jour de l’affranchissement, étaient possesseurs d’un million et demi sterling. Les affranchis, désireux de se fondre par les habitudes, par les vêtemens, par leur manière de tenir leurs habitations, avec la classe blanche, ont fait une grande consommation d’objets de luxe. Ils ont recherché les articles de joaillerie, de bijouterie, les meubles, les liqueurs et les vins étrangers. Les exportations de l’Angleterre pour les colonies ont donc reçu un certain accroissement.

L’abolition de l’esclavage rencontrera-t-elle dans nos possessions d’outre-mer et en France des conditions aussi favorables ? Notre commerce n’aura-t-il pas à supporter de plus pénibles sacrifices que le commerce anglais, comme conséquences de cet événement ? L’exposé que nous venons de faire répond à ces deux questions, et d’une manière malheureusement négative. Nos colons ne touchent qu’une indemnité insuffisante ; notre législation sur les sucres, loin de les protéger, les livre, sur le marché métropolitain, à une concurrence qui devient chaque jour pour eux plus redoutable. Nos nouveaux libres, moins préparés que les affranchis anglais, arrivent, la plupart, à la liberté sans économies faites et sans les goûts d’une civilisation précoce ; nos négocians et nos armateurs, créanciers des planteurs pour des sommes considérables, se voient enlever, par la clause relative à l’indemnité pour les noirs ruraux, le gage sur lequel reposaient leurs titres. Enfin, cette perturbation dans la culture coloniale coïncide avec une révolution qui a réduit de moitié les fortunes et détruit le crédit dans tous nos grands centres commerciaux. Il ne faut donc point se faire illusion : opérée dans de telles circonstances, l’émancipation doit avoir, pour notre commerce, les effets les plus déplorables. Que faire pour lui prêter assistance dans une crise aussi radicale ? Mesurer le remède à l’étendue du mal et ne point procéder par demi-moyens.

Il faudrait réduire de 15 à 20 francs les droits sur le sucre colonial français, en laissant subsister au taux actuel l’impôt sur le sucre indigène ; il faudrait abaisser en même temps de 15 francs la surtaxe sur le