Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/778

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sucre étranger. On trouverait dans cette combinaison le salut de notre commerce maritime. Autrement le sucre indigène, profitant de la ruine de l’agriculture coloniale, désormais maître du marché intérieur, développera outre mesure sa production et satisfera, à lui tout seul, les besoins de notre consommation. Déjà il fournit 60 millions de kilog. : ce qu’il a fait lorsqu’il était contenu par la présence de son rival n’annonce que trop l’essor qu’il va prendre, alors qu’il sera sans concurrence. A moins de vouloir lui laisser absorber l’élément principal de notre marine marchande, à moins d’être résolu à lui sacrifier les débris de nos malheureuses colonies, à moins de déshériter à son profit les populations qui vivent du commerce et de la navigation, il faut, par un remaniement de nos tarifs, opposer une barrière à sa marche envahissante.

Nous proposons de réduire les droits sur le sucre colonial français à 30 francs, parce que la différence de 15 francs entre ce chiffre et celui de 45 francs, que paie le sucre indigène, représente à peu de chose près les frais de transport des colonies en France. Ce dégrèvement, que commandent les considérations les plus graves, serait accueilli par les colons comme un complément d’indemnité. Le sacrifice que ferait le trésor ne serait pas considérable. En 1839, cette réduction du droit pour le sucre colonial français fut projetée, et on n’évaluait pas à plus de 7 millions la perte qu’elle devait occasionner au budget des recettes.

L’abaissement de la surtaxe du sucre étranger à 50 francs serait une compensation accordée aux intérêts de nos ports de commerce, qui subissent les effets de la révolution coloniale. Le nouveau droit laisserait subsister, entre le tarif de nos sucres coloniaux et celui des sucres exotiques, une différence de 20 francs, ce qui serait le maintien entre eux du droit différentiel actuel. Le sucre de betterave seul serait affecté par ce changement dans notre législation douanière. Il serait mis en lutte avec le sucre étranger et n’aurait, pour soutenir cette concurrence, qu’un avantage de 5 francs sur la quotité du droit. Ainsi nos armateurs auraient la perspective de remplacer le fret qu’ils sont menacés de perdre dans nos possessions transatlantiques par les chargemens qu’ils trouveraient au Brésil, à Porto-Rico et à Cuba.

Cette mesure habile et prévoyante, au point de vue politique et commercial, serait un acte de justice envers les colonies et les ports de mer. Se décidera-t-on à la prendre ? Nous n’osons l’espérer. Au milieu des passions et des luttes de partis, on oubliera les Français d’outre-mer, on fermera l’oreille aux cris de leur détresse, et, lorsque la tourmente sera passée, que nous ferons la triste et lugubre inspection des ruines amoncelées par la révolution du 24 février, nous y trouverons celle de notre marine et de nos colonies. Alors aussi il sera trop tard pour les relever.


HENRI GALOS.