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due dont elles sont susceptibles. Lors de la discussion de ce projet de crédit des 20 millions dont nous parlions tout à l’heure, le général Lamoricière repoussa, vivement l’ouverture du crédit, en disant « qu’il ne serait point convenable de se laisser aller à de nouvelles dépenses, et qu’il fallait réserver quelque chose pour l’inconnu. » Ce mot-là fit sensation dans l’assemblée. On dirait aujourd’hui que l’inconnu va commencer. Nous nous étions jusqu’à présent reposés sur les récentes déclarations de lord Palmerston au sujet des affaires d’Italie ; nous étions à peu près persuadés que l’Autriche acceptait la médiation en commun de l’Angleterre et de la France ; elle l’avait encore, affirmait-on, sollicitée le 13 août, après avoir été suffisamment informée du succès de ses armes. Lord Palmerston ne s’expliquait pas, il est vrai, très catégoriquement sur le cas où la France se croirait obligée d’intervenir toute seule d’une façon plus directe et plus prompte au-delà des Alpes ; mais il y avait dans son discours tant de bonnes paroles pour notre nouveau gouvernement, tant d’assurances honorables d’accord et d’amitié de la part de l’Angleterre, qu’on ne pouvait pas et que nous ne voulons pas encore prévoir une hypothèse où l’Angleterre et la France n’agiraient pas de concert. De son côté, le général Cavaignac expliquait franchement à la tribune qu’il aurait jusqu’au bout le courage de la paix, que l’honneur seul de la France et non pas son goût particulier pourrait jamais le décider à tirer le sabre du fourreau. Nous avions donc tout lieu d’espérer une solution pacifique pour le démêlé européen qui s’agite dans les plaines de la Lombardie. Voici néanmoins que la situation change de face et devient beaucoup moins commode. La Russie aurait déclaré, d’après les dernières nouvelles allemandes, qu’elle ne laisserait point l’Autriche dans l’embarras et ne souffrirait pas sans combattre qu’un soldat français entrât en Italie. L’Autriche elle-même, et ce point-ci paraît tout-à-fait certain, l’Autriche, assise de nouveau sur son territoire reconquis, ne veut plus entendre parler de médiation et prétend s’arranger seule à seule avec la cour de Turin. Il est en effet difficile de persuader à des vainqueurs rentrés en possession de leurs provinces qu’il faut maintenant les abandonner par les traités après les avoir reprises par la guerre. La France, d’autre part, a jeté sa parole dans la balance où se pèsent les destinées de l’Italie ; elle a fixé l’heure où elle y jetterait son épée. Quand la France en sera là, que fera l’Angleterre ? Nous ne conseillons pas au gouvernement de perdre beaucoup de temps à chercher alors un avis au-delà du détroit. S’il faut déjà reprendre Ancône, l’Ancône de la république fût—il même Venise, ne l’oublions pas, le plus tôt qu’on porte de pareils coups est toujours le mieux.




Depuis les événemens de février, les arts sont frappés du mal dont souffre la société tout entière. Les théâtres, et particulièrement les théâtres lyriques, ne suffisent qu’à grand’peine aux premières nécessités de leur situation. Aussi, malgré la subvention ordinaire qu’ils reçoivent de l’état et le secours extraordinaire que le gouvernement vient de leur accorder, nos théâtres lyriques seront-ils bien heureux s’ils peuvent dire dans six mois ce que l’abbé Sieyès répondait à un ami qui lui demandait ce qu’il avait fait pendant la terreur : J’ai vécu. Ce sera, en effet, beaucoup pour eux que d’avoir simplement existé pendant ces jours d’émotion fiévreuse, et d’avoir traversé l’une des crises les plus redoutables qu’ait eu à subir la société française.