Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 23.djvu/809

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de sourdes menées. Relégués dans les montagnes, accusés de manquer de discipline et de ruiner l’état, ils supportaient des fatigues sans gloire avec une patience inébranlable. Trois fois on les désorganisa sous le vain prétexte de les réorganiser sur des bases plus solides ; on les força même à quitter les passages dont la défense leur était confiée, pour les enfermer dans la ville de Brescia en attendant leur nouveau règlement et leurs nouveaux chefs : ils ne se laissèrent point décourager. Enfin les chefs de l’armée leur permirent de retourner à leurs postes, sans qu’on eût donné la moindre suite aux promesses réitérées d’organisation. On continua donc la guerre avec le concours des volontaires dont les offres de service avaient été acceptées lors de l’entrée en campagne ; seulement, et cela prouve l’aversion que ces auxiliaires inspiraient aux chefs de l’armée régulière, on résolut de n’en point admettre de nouveaux. Ce fut en vain que des jeunes gens sortis des écoles militaires, que d’anciens officiers qui avaient servi, soit dans la légion étrangère de France, soit en Espagne, en Suisse ou même sous l’empire, se présentèrent au ministre de la guerre, ne demandant qu’à entrer comme simples soldats dans un corps de volontaires : un refus dédaigneux fut la seule réponse qu’on fit à ces demandes[1]. Ce n’était pas seulement le gouvernement provisoire, c’était l’état-major de l’armée piémontaise qui s’opposait à l’engagement des volontaires. On se plaignait de ce que le contingent lombard ne fût ni assez nombreux, ni assez habile au métier de la guerre, et le roi Charles-Albert ne voulait pas permettre que les corps francs guerroyassent en rase campagne, parce que, disait-il, on fusille en temps de guerre tous les militaires pris sans uniforme, et qu’il ne voulait pas exposer les volontaires à un sort pareil.

On avait raison quand on signalait l’inexpérience militaire des Lombards ; mais c’était à cause de cette inexpérience même qu’il fallait les employer à la seule guerre qui leur offrît des chances favorables : nous voulons parler de la guerre de partisans. Pendant les trente-six années du régime autrichien, l’honneur, qui commandait aux Lombards de s’abstenir de toute fonction publique, ne leur avait laissé de choix qu’entre la vie frivole de l’homme du monde ou la vie paisible de l’agriculteur. Pourtant le Lombard est naturellement brave : il l’a montré dans les cinq journées de mars ; mais la bravoure, sans l’éducation militaire, ne suffit pas pour faire un bon soldat. Le temps qu’eût exigé la formation d’une armée régulière lombarde manquait absolument aux généraux chargés de cette organisation. Il ne fallait que vingt-quatre heures, au contraire, pour composer un corps de

  1. Moi-même j’eus plus d’une fois à recommander d’anciens militaires qui, voulant servir à tout prix la cause lombarde, demandaient à être admis dans l’armée en qualité de soldats. Mes demandes furent toujours écartées, par cette seule raison que les hommes ainsi engagés seraient encore des volontaires.