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Il est admis que chaque partie de bon fumier de ferme confiée au sol reproduit en froment la dixième partie de son poids, et que chaque tête de gros bétail, convenablement nourrie, crée une masse de fumier qui augmente la récolte annuelle d’une dizaine d’hectolitres[1]. Le problème, ainsi posé, semble se résoudre de lui-même. Quoi de plus simple, dit-on souvent, que d’augmenter le bétail, afin d’obtenir en plus grande quantité l’engrais, instrument de la régénération végétale ? Les primes demandées au gouvernement pour la formation des prairies, la production des plantes fourragères, la multiplication des races domestiques, les calculs sur la proportion du bétail à la superficie mise en culture, les mesures à prendre contre le morcellement des terres, les bons effets des clôtures, l’abolition des servitudes qui font obstacle aux progrès, sont autant de conseils passés à l’état de lieux communs. Le malheur des théoriciens est d’expérimenter dans le vide. Ils oublient qu’en agriculture le mal ne réside pas dans l’ignorance des bons procédés, mais dans la difficulté de les appliquer. Le régime agricole d’un pays étant la conséquence des lois et des coutumes qui légitiment la propriété, toute réforme dans l’exploitation des terres modifie l’état d’une société. Aussi est-il fort rare qu’une réforme agricole s’établisse autrement qu’à la suite d’une révolution politique. Le malaise social, causé par l’insuffisance des produits du sol, est le prétexte du mouvement ; la réforme agricole en devient la conclusion. Les envahissemens de l’aristocratie romaine ayant affamé l’Italie, la chute du patriciat aboutit au servage féodal, qui attacha les cultivateurs à la glèbe, afin de généraliser les cultures utiles : la ruine de la féodalité et la révolution démocratique de 1789 modifièrent à leur tour la société de manière à déplacer les bases de l’économie rurale.

Il n’est pas impossible, cependant, que l’agriculture d’un pays soit transformée par l’intervention systématique de son gouvernement ; mais de tels exemples sont rares : ils exigent de la part des hommes d’état qui se dévouent à cette œuvre un rare ensemble de connaissances et une habileté d’exécution égale à la vigueur de leur génie.

L’Angleterre trouva des hommes d’état à la hauteur d’une semblable tâche, et la révolution agricole qui s’accomplit chez elle pendant le cours du dernier siècle contribua plus encore à sa grandeur politique que ses efforts et ses succès dans l’ordre industriel. Les

  1. Cette proportion n’est pas une mesure rigoureusement exacte. Les différences s’expliquent par la plus ou moins grande énergie des fumiers employés et la constitution diverse des terrains. Crud admet que 622 kilogrammes d’un fumier excellent rendent un hectolitre de blé, c’est-à-dire un peu plus de 12 pour 100 en poids ; Thaër exigeait environ 1,000 kilogrammes par hectolitre, ou un peu plus de 7 pour 100. La mesure de 10 pour 100, indiquée par M. de Gasparin, est donc une sorte de moyenne admise par les agronomes comme plus rapprochée de la vérité et plus favorable au calcul.