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On a cru affaiblir ces chiffres en disant que le poids des animaux n’est pas le même à toutes les époques. Les registres d’octroi signalent, en effet, quelques différences[1] : j’en ai tenu compte en comparant, à soixante ans de distance, les années 1785 et 1844 ; je trouve qu’à la première époque, le poids total des viandes introduites fournit 43,223,152 kilogrammes pour 620,000 habitans, et que, pour l’époque récente, 54,069,488 kilogrammes ont dû suffire à une population de 960,000 âmes : le désavantage est pour nous, dans le rapport de 57 à 70, environ 20 pour 100.

La rareté et le haut prix du bétail ont eu pour effet d’introduire dans le commerce des marchandises inférieures. M. Boulay de la Meurthe a constaté dans son rapport que les viandes ont perdu en qualité autant qu’en abondance. Les viandes à la main, provenant des bêtes dégradées, abattues dans les campagnes, pour être vendues dans les halles de Paris à des prix plus bas que ceux de la boucherie, sont entrées dans la consommation, en 1846, pour 3,804,381 kilogrammes. Avant l’établissement des abattoirs, lorsque les animaux étaient conduits vivans jusqu’à chaque boucherie, et tués, pour ainsi dire, sous les yeux du public, les bouchers avaient intérêt à n’acheter que des bêtes de choix. À cette époque, on n’introduisait à Paris que 6,000 vaches au plus ; on en a amené en dernier heu 21,980. L’inconvénient ne serait pas grand si l’on ne débitait que des vaches parfaitement saines. Par malheur, ces bêtes sortent, en général, des laiteries de la banlieue : soumises à un régime sédentaire et à une nourriture surexcitante, elles y sont prédisposées à diverses maladies, et notamment à la phthisie. On estime qu’un cinquième des vaches engraissées pour la boucherie, lorsqu’elles ont cessé de fournir du lait, sont viciées, et qu’elles inoculent dans la population un principe fiévreux et débilitant. Les classes nécessiteuses trompent le besoin qu’elles ont d’une nourriture animalisée, en se jetant sur des alimens de haut goût. La chair du porc, dont la vente était restreinte autrefois par une triple inspection des agens de police, figure aujourd’hui dans le tableau des entrées pour 8 à 9 millions de kilogrammes : la charcuterie, au lieu de fournir, comme en 1785, un treizième dans la consommation, en forme actuellement la sixième partie. Un autre symptôme à constater est le développement prodigieux qu’a pris depuis trente ans le commerce des issues et des abats. Les parties de l’animal qui ne paraissent pas ordinairement sur les tables bien servies, le cœur, le foie, les

  1. Au siècle dernier, le poids moyen du bœuf était de 350 kilogrammes ; la moyenne est d’environ 320 kilogrammes aujourd’hui. Le mouton, évalué jadis à 25 kilogrammes, ne pèse plus que 22. Au contraire, on ne comptait pour une vache que 180 kilogrammes, et pour un veau que 36 kilogrammes. Les chiffres correspondans sont aujourd’hui 225 et 62 kilogrammes.