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dignité de caractère, le sérieux et l’élévation de pensée, la force de conviction et l’originalité de talent ont fait un grand homme ? Poussin, dont les tableaux révèlent d’ailleurs une érudition pittoresque peu commune, avait étudié les livres uniquement dans la vue de son art. Il va au fait, « cueillant la fleur des beaux ouvrages, et travaillant gaillardement, » comme il le dit lui-même, toutefois écrivant bonnement, simplement, avec un fort bon fonds d’idées justes, avec des formes très naturelles, rien de plus ; il s’en excuse et dit « qu’on doit lui pardonner, parce qu’il a vécu avec des personnes qui l’ont su entendre par ses ouvrages, n’étant pas son métier de savoir bien écrire. » Ses descriptions, ses réflexions critiques n’en sont pas moins admirables : c’est simple et grand comme ses beaux dessins. Il y règne surtout cette clarté suprême, qualité française si éminente dans les arts comme dans les lettres, et qui en suppose tant d’autres. Il se proposait « d’ourdir des observations sur le fait de la peinture : » ce devait être l’occupation de sa vieillesse ; mais, comme toujours, la mort prévint l’exécution du projet. Dans cette précieuse correspondance, on voit éclore les œuvres de Poussin ; on voit avec quelle scrupuleuse conscience il les épure, avec quelle jalouse tendresse et quel sentiment d’art il les suit par-delà, quand elles ont quitté ses mains créatrices.

Ce qu’on a fait pour Nicolas Poussin, nous le tenterons pour Léopold Robert. Nous essaierons de raconter l’histoire de sa vie et de ses ouvrages par sa correspondance. Silencieux et recueilli, cet homme réservait toute l’abondance de son ame pour les épanchemens épistolaires, et c’est là qu’il le faut chercher tout entier, mais sans se préoccuper du style. Diffus le pinceau à la main, il l’est à plus forte raison quand il tient la plume. Parfois les idées les plus élevées et les plus justes sont là en germe, qui n’eussent attendu chez lui pour étinceler avec netteté que le choc de la contradiction de quelque esprit exercé ; mais, seul avec lui-même, il lui arrive de n’avoir qu’une expression confuse, même sur les matières qu’il connaît le mieux. Que ceux qui s’imaginent qu’un grand artiste peut toujours écrire avec la plume d’aussi belles choses qu’avec le pinceau se détrompent. Michel-Ange, il est vrai, et Raphaël furent poètes ; Léonard de Vinci toucha de sa plume tous les sujets ; Rubens, qui partagea la gloire des négociateurs, écrivit également beaucoup et bien. Plusieurs, alors et depuis, furent d’habiles écrivains sans s’en douter : fermes, simples, précis, merveilleux surtout de sobriété. On n’y faisait point alors tant de façons. L’analyse et le développement, les finesses et subtilités d’idée et de langage, naquirent plus tard, et l’usage en devint plus fréquent en proportion de la décadence du talent de peindre. Mais, encore une fois, autre chose est l’art de peindre et l’art d’écrire : rien de plus rare que l’assemblage de ces deux dons portés à la fois à un point élevé. Du moins, un mérite peu