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« Mon cher, écrivait-il le 17 décembre 1817 à son parent Brandt, que le roi de Prusse venait d’appeler à Berlin[1], tu ne peux savoir quel désir j’ai de voir l’Italie et avec quelle ardeur j’entreprendrais ce voyage, dans l’espoir de faire des progrès et de vivre peut-être quelque part avec toi. Je me sentirais fort, si j’étais appuyé de tes conseils. Quand on a rencontré des obstacles, on se défie de son talent et de ses moyens. Pour m’exciter, mon cher, il faudrait que je fusse auprès de toi ou que je reçusse souvent de tes nouvelles. J’espère que tu seras persuadé de la vérité de mes paroles et que tu m’enverras bientôt une lettre. Une seule page, si tu n’as pas le temps d’écrire davantage, suffira pour me rappeler que ma destinée n’est pas de rester à la Chaux-de-Fonds, et pour me rendre cette énergie dont malheureusement je manque trop souvent. »

Ces vœux ardens devaient être exaucés : Dieu épargna au cœur tout français de Robert le protectorat direct de la Prusse, et lui ouvrit, par une autre voie, cette sainte Italie où son génie devait éclore. M. de Mézerac, instruit par Brandt de la position de Robert, lui offrit tous les moyens d’étudier pendant trois ans à Rome, sauf à le rembourser à son aise et quand il aurait pris son essor. On devine si Léopold accepta avec joie.

« Enfin, mon cher (c’est à ce même Brandt qu’il s’adresse le 30 avril 1818), toutes mes inquiétudes se dissipent : je vais partir ! Je sens en moi une partie de ta force. Ta manière élevée de voir se communique à moi, et, quoiqu’en ce moment il se trouve ici beaucoup d’ouvrage pour moi, je laisse tout pour ne suivre que tes conseils. Un

  1. Henri-François Brandt était né à la Chaux-de-Fonds en 1789, fils, comme Robert, d’un horloger. Il fit un premier apprentissage chez un graveur de montres de son pays, d’où il passa dans l’atelier d’un de ses compatriotes, Jean-Pierre Droz, graveur en médailles, directeur de la Monnaie des médailles de Paris, depuis le directoire jusqu’en 1814, et le même qui, en 1818, remporta le prix au concours ouvert pour la gravure des monnaies. Brandt, qui suivit en même temps l’atelier de Bridan le sculpteur, et reçut les conseils de Louis David, fit d’assez rapides progrès pour remporter, en 1813, à l’âge de vingt-quatre ans, le premier grand prix de gravure en médailles. Le sujet du concours était « Thésée relevant la pierre sous laquelle son père avait caché ses armes. » Les grands prix de gravure en médailles, dont le premier fut obtenu par Tiollier en 1805, le second par Gatteaux en 1809, le troisième par Durand en 1810, et le quatrième par Brandt, donnaient, ainsi que les grands prix en pierre fine, le même privilège que les grands prix de peinture et de sculpture, la pension de cinq ans à l’académie de France à Rome. Ce n’est que depuis 1816 que les graveurs ne reçoivent que quatre années de pension. Brandt partit donc pour Rome. Il y était depuis trois ans, quand les traités lui firent perdre, comme à Robert, la qualité de Français. Il revint à Paris. Le directeur des musées, le baron Denon, ne l’abandonna pas ; il lui fit graver la médaille allégorique représentant l’Aigle française sur le Borysthène. Le roi de Prusse l’appela en 1817 à Berlin, où il est mort en 1816, laissant un œuvre en médailles fort nombreux, dans lequel on remarque particulièrement les portraits de Pie VII, de Louis XVIII, etc., et la représentation de monumens tels que la Trinité du Mont, l’Académie de France à Rome.