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de M. Proudhon est donc le comble de l’absurdité. Quand on l’applique à la réalité, on rougit d’être obligé de répondre à d’aussi insolentes niaiseries. Prenez un ouvrier dans une manufacture de tissus, et voyez si, avec son salaire, il ne rachète pas aujourd’hui une plus grande quantité de son produit qu’il ne pouvait en racheter avant le régime industriel et l’établissement des machines. Dans ses excellentes Lettres sur l’organisation du travail, M. Michel Chevalier parle du moulin de Saint-Maur qui, avec vingt ouvriers, est en état de moudre chaque jour le blé qu’il faut pour cent mille rations de soldats. Placez un de ces ouvriers en face des cinq mille rations qu’il fabrique en douze heures, et demandez-lui s’il n’y a dans la valeur de ce produit que celle que son travail y a mise et s’il se tiendra pour volé tant qu’on n’élèvera pas son salaire au chiffre de cette valeur ? Si la théorie de M. Proudhon n’était pas un non-sens, il y a long-temps que l’échange, la circulation et la vie, comme il dit, seraient impossibles ou seraient en train de disparaître. Or, il est certain, au contraire, que, dans la période de vingt années qui a précédé la révolution de février, au lieu de décroître, les consommations du peuple ont doublé. Les faits, aussi bien que la logique, démasquent la monstrueuse erreur de M. Proudhon. ; mais quelle est la cause de l’égarement d’un si outrecuidant raisonneur ? Il n’a oublié qu’une chose dans son hypothèse, c’est l’accroissement continuel du capital national ; il a oublié que cet accroissement se constate pour tous les travailleurs, ceux de l’entreprise comme ceux de la main-d’œuvre, en profits et en revenus ; il a oublié que cet accroissement, d’une part, se capitalisant en dépenses reproductives, se résout immédiatement en salaires, et, d’un autre côté, augmentant sans cesse les forces de la production et la quantité des produits, tend à abaisser sans cesse les prix de vente vers la limite des prix de revient, et à rajuster, autant que cela est compatible avec la liberté humaine, la valeur d’échange à la valeur utile, en sorte que, si l’on pouvait peindre par une image matérielle la marche ascendante du travail, de la richesse nationale et du bien-être général, il faudrait se représenter une pyramide renversée dont la pointe toucherait le sol et qui élèverait dans l’infini sa base mouvante et continuellement élargie.

Telle est la méprise de M. Proudhon. Il faudrait toute la brutalité de langage habituelle à cet écrivain pour la qualifier avec ce qu’elle mérite de sévérité au point de vue des conséquences sociales qu’il en tire et de dédain au point de vue de la science. M. Proudhon s’enfonce si carrément dans cette erreur, qu’après l’un des passages que nous avons cités il ajoutait : « Par le roulement du numéraire et la faculté qu’il a de pouvoir se replacer sans cesse, 2 milliards produisent actuellement comme 25 : dette publique, 6 à 7 milliards ; hypothèques, 8 milliards ; obligations et actions, 6 milliards ; escompte et circulation,