que je portais toujours dans ma poche de côté tomba sur le genou de mon compagnon, qui tressaillit. — Diable ! vous êtes armé aussi !
— Jamais je ne sors sans armes.
— Je l’avais deviné, soupira l’inconnu en poussant un gémissement concentré. « Ne comprenant rien aux discours et aux manières de mon compagnon de route, qui, au bout de quelques minutes, se mit à soupirer de nouveau comme s’il eût été dans une angoisse inexprimable, je repris :
— Vous êtes malade, monsieur ?
— Oui !… Ah ! si vous saviez à qui vous parlez… On me connaît dans le pays…
Et il soupira encore.
— Je serais désolé, monsieur, sans vous connaître, que vous fussiez malade dans cette voiture.
— Ce qui arrivera, Dieu le sait, Dieu le sait !… Je suis Barney d’Oyle, monsieur !
— Très bien, monsieur.
— Vous n’avez pas lu les journaux ? Il paraît que vous êtes étranger dans le pays ; il n’y est question que de moi. Je viens de passer dix-huit semaines dans la maison de santé du docteur Berry et six autres au grand hôpital ; cela ne m’a fait aucun bien.
— Vraiment ! répliquai-je… Je commençais à me douter de quelque circonstance peu agréable.
— Hélas ! monsieur, si vous saviez qui je suis, vous ne seriez pas content de voyager avec moi.
— Mais c’est un plaisir sur lequel je ne comptais guère.
— Plaisir si vous voulez. Quand je mordis le pouce de ce pauvre Thomas Blynn, cela ne lui fit, je crois, pas grand plaisir.
— Mordre un pouce ? demandai-je épouvanté, en reculant jusqu’au fond de la voiture, et pourquoi cela ?
— Ah ! pourquoi ! pourquoi ! ils ne sont pas d’accord là-dessus. Les uns disent que c’est le foie, les autres le cérébellum, ceux-ci l’épine dorsale, ceux-là le péricarde ; moi je crois qu’ils n’en savent pas plus les uns que les autres.
— Et il y a un nom à votre maladie ?…
— S’il y en a un !
— Lequel ?
— J’aime autant ne pas vous le dire. Si j’avais un accès cette nuit… Mais je tâcherai de n’en pas avoir.
— Comment ! des accès ? Et l’on vous laisse sortir et prendre une place dans la diligence, quand vous êtes dans un état pareil ?
— Ah !… on ne le sait pas. Je suis sûr que Rouney aboie maintenant comme un malheureux chien qu’il est.
— Rouney ?
— Oui, le chien que j’ai mordu.
— Ah çà ! est-ce que vous seriez hydrophobe, par hasard ?
— Exactement, monsieur.
« Il y eut un grand silence ; je ne respirais plus, tremblant de tous mes membres et regardant la portière, pendant que les chevaux emportaient la voiture au grand trot. L’hydrophobe continua
— Il n’y a que huit jours que j’ai commencé à mordre, dit-il avec une gravité imperturbable ; je suis dans mes bons momens.