Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et intelligente, le gouvernement, de concert avec l’assemblée nationale, entreprend sans plus tarder la colonisation de l’Algérie. Le général Lamoricière a soutenu son projet en homme politique et en Algérien expérimenté. Il n’est plus question des systèmes qui se partageaient l’opinion au sujet de ce vaste problème ; il n’est plus même possible de s’arrêter aux objections financières que les partisans de l’économie opposaient sans relâche aux partisans de l’Afrique. La terre africaine va s’ouvrir au trop plein de notre population. Cinquante millions ont été votés en une séance, dont cinq immédiatement applicables serviront à installer douze mille colons d’ici à la fin de 1848. Six mille demandes d’engagement ont été inscrites en deux jours. « Qu’est-ce qu’on fait pour le peuple ? » demandait M. Ledru-Rollin en buvant le vin du Châlet.

Faire beaucoup pour le peuple dans un esprit de sagesse pratique et de saine administration, écarter de ses travaux « les états-majors en habit noir, » comme disait spirituellement le général Lamoricière, aider le peuple des villes à se nourrir, à se loger au meilleur prix, aider surtout le peuple des campagnes, contribuer à la mise en valeur du sol avec le bon vouloir, sinon avec le luxe des institutions agricoles de M. Tourret, tout cela sans doute est d’un gouvernement qui comprend les besoins vrais du temps et s’efforce de rester au niveau des justes exigences qui l’entourent. Ce n’est point assez cependant après les alternatives qui ont ballotté le pays, après les déceptions dont il n’est pas encore guéri, après qu’il a vu se dérouler, se heurter et s’emmêler sous ses yeux tant de circonstances ambiguës, tant d’histoires équivoques. Nous sommes devenus soupçonneux et méfians ; ce n’est pas notre faute : nous sommes malheureusement une nation toujours prête à se donner ; la nation pourtant ne se donnera plus qu’à celui qui la rassurera le mieux. Elle entend bien, cette fois, qu’on la délivre à toujours et des chimères et des fureurs. Elle entend qu’il y ait rupture définitive entre quiconque aura l’intention d’être homme de gouvernement et toutes ces folies économiques, politiques ou sociales, qui s’étaient incarnées dans les gouvernemens antérieurs à l’épuration de juin. Elle n’admet pas que cette rupture puisse coûter à personne. Voyez plutôt M. Goudchaux. Nous tenons en grande estime la sincère et candide honnêteté de M. le ministre des finances ; il ne pèse pas tous ses mots, et, si poli qu’il paraisse en montant à la tribune, il ne faut pas beaucoup agacer sa bile pour le pousser du milieu de sa civilité dans quelque belle colère. Ce n’est pas un politique, mais c’est un homme loyal qui dit très haut à quel bord il se loge : « Vous avez beau faire, montagnards, s’écrie-t-il à la tribune, l’humanité marchera sans vous ! » Voilà du moins qui est net et qui vaut bien un orage. M. Goudchaux n’en est pas plus fier et continue sa petite allocution.

Il va sans dire qu’on serait malavisé d’attendre ces héroïques naïvetés de la part du général Cavaignac ; on ne serait pourtant pas fâché d’en avoir au moins la monnaie. Il y a parmi les habiles de l’extrême gauche une tactique que nous devons signaler à l’honorable chef du pouvoir exécutif, parce qu’il ne saurait la décourager avec trop d’éclat : l’extrême gauche s’obstine à ne point se blesser de ses froideurs ; elle n’a de griefs que contre son cabinet. Le cabinet s’efface cependant, selon la rigueur constitutionnelle, derrière la personne de son président, et celui-ci prend à bon droit le plus qu’il peut sous sa propre responsabilité. Il ne veut point, et il a raison, que les ministres le couvrent, il veut