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le même enfin qu’il s’était déterminé à peindre son propre portrait, ne voulant pas dépenser une dizaine de pistoles pour une tête de la façon de M. Mignard, qui étoit celui qui les faisoit le mieux, mais les faisoit froides, fardées, sans force ni vigueur[1]. Comme les noms du Poussin et de Chantelou, les noms de Robert et de Marcotte sont donc désormais inséparables, et jamais protecteur et protégé n’ont été plus dignes l’un de l’autre. L’amateur éclairé eut bientôt discerné ce qu’il y avait de sombres inquiétudes et de fatales infirmités dans l’ame honnête de Robert, et il ne cessa d’opposer la fermeté de la raison et les tendresses de l’amitié aux noires idées de l’artiste. Mais que peut la raison humaine sur l’esprit visité de Dieu ?

Léopold était dans cet état quand, revenu à Paris par Florence, en 1831, après une longue absence, la vue de M. Marcotte, avec qui jusqu’alors il n’avait eu que des relations épistolaires, lui causa une de ces émotions douces qui devaient, pour un temps, l’enlever à ses pensées

  1. Poussin sentait d’une manière touchante l’amitié passionnée de son patron ; qu’on en juge par la lettre qu’il lui écrivit un an avant sa mort. C’est son testament d’Eudamidas.
    « De Rome, le 16 novembre 1664.
    « Monsieur,
    « Je vous prie de ne pas vous étonner s’il y a tant de temps que j’ai eu l’honneur de vous donner de mes nouvelles. Quand vous connoîtrez la cause de mon silence, non-seulement vous m’excuserez, mais vous aurez compassion de mes misères. Après avoir, pendant neuf mois, gardé dans son lit ma bonne femme, malade d’une toux et d’une fièvre d’étisie, qui l’ont consumée jusqu’aux os, je viens de la perdre, quand j’avois le plus besoin de son secours. Sa mort me laisse seul, chargé d’années, paralytique, plein d’infirmités de toutes sortes, étranger et sans amis, car en cette ville il ne s’en trouve point. Voilà l’état auquel je suis réduit : vous pouvez vous imaginer combien il est affligeant. On me prêche la patience, qui est, dit-on, le remède à tous maux ; je la prends comme une médecine qui ne coûte guère, mais aussi qui ne me guérit de rien.
    « Me voyant dans un semblable état, lequel ne peut durer long-temps, j’ai voulu me disposer au départ. J’ai fait, pour cet effet, un peu de testament, par lequel je laisse plus de dix mille écus de ce pays à mes pauvres pareils qui habitent aux Andelys. Ce sont gens grossiers et ignorans, qui, ayant, après ma mort, à recevoir cette somme, auront grand besoin du secours et de l’aide d’une personne honnête et charitable. Dans cette nécessité, je vous viens supplier de leur prêter la main, de les conseiller et de les prendre sous votre protection, afin qu’ils ne soient pas trompés ou volés. Ils vous en viendront humblement requérir, et je m’assure, d’après l’expérience que j’ai de votre bonté, que vous ferez volontiers pour eux ce que vous aurez fait pour votre pauvre Poussin pendant l’espace de vingt-cinq ans.
    « J’ai si grande difficulté à écrire, à cause du tremblement de ma main, que je n’écris point présentement à M. de Chambray, que j’honore comme il le mérite, et que je prie de tout mon cœur de m’excuser. Il me faut huit jours pour écrire une méchante lettre, peu à peu, deux ou trois lignes à la fois, et le morceau à la bouche : hors de ce temps-là, qui dure fort peu, la débilité de mon estomac est telle, qu’il m’est impossible d’écrire quelque chose qui se puisse lire. Voyez, je vous supplie, monsieur, en quoi je vous peux servir en cette ville, et commandez-le à celui qui est de toute son ame votre très, humble, etc.
    « Poussin. »