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qui se trouvait à Rome, reçut de Paris, d’une personne qui lui était inconnue, une lettre contenant des félicitations sur ses premiers ouvrages et l’expression du désir de posséder quelques peintures de sa main. Cette lettre était du beau-frère du savant M. Walckenaer, M. Marcotte d’Argenteuil, alors administrateur, depuis directeur général des eaux et forêts, amateur des arts, homme de grand goût, de grand sens et de grand cœur. C’est le même qui avait eu aussi, avec les comtes Pastoret et Turpin de Crissé, le tact de deviner M. Ingres, et qui le soutint de son amitié à une époque où ce modèle des artistes, traité si justement aujourd’hui comme un ancien, était inconnu. Robert fut touché des avances d’un tel homme, et y répondit. Non-seulement M. Marcotte lui acheta des tableaux, le dirigea dans le placement de ses œuvres, mais il allégea l’artiste des soins matériels de sa petite fortune ; il l’éclaira de son expérience pour tirer parti de ses fonds, et lui fut à la fois, grace à l’autorité de son âge, un conseil officieux et bienveillant, un père, un ami : dévouement touchant et simple qu’on ne saurait trop admirer dans nos temps d’agitation et d’égoïsme. Une correspondance active et soutenue s’ouvrit entre le patron et l’artiste, et l’on admire comment cet homme, qui produisait si lentement et qui cependant a tant produit, cet homme, qu’un mal inexorable rongeait au cœur, a pu trouver le temps d’écrire encore des volumes de lettres et ne pas succomber sous le poids de pareilles préoccupations accumulées.

M. Marcotte a été à Robert ce que fut au grand Poussin M. de Chantelou. Qu’on nous permette ce parallèle plus exact pour le patron que pour le peintre. C’est M. Marcotte qui, en 1831, appela Robert à Paris ; c’est aussi M. de Chantelou qui, envoyé avec son frère, M. de Chambray, en Italie, pour recueillir des objets d’art et en ramener des artistes, avait eu le crédit de décider le Poussin, vers la fin de 1640, à revenir en France. Comme M. Marcotte, Paul Fréart, sieur de Chantelou, conseiller et maître-d’hôtel ordinaire de Louis XIII, avait été le protecteur constant, le correspondant assidu, l’admirateur passionné de son ami, et son amitié fidèle l’avait suivi au-delà du tombeau. Robert ne donnait pas un coup de pinceau sans consulter le bon M. Marcotte, il n’était jamais si heureux que quand il travaillait pour lui. Ainsi le Poussin, après avoir travaillé avec toute sorte d’amour et de diligence pour M. de Chantelou pendant la plus belle époque de son talent, après avoir peint pour lui la seconde suite des Sept Sacremens, passés dans la galerie d’Orléans et finalement dans celle du marquis de Stafford, en Angleterre, fit pour lui encore son dernier tableau, « la Samaritaine, » alors que le tremblement de ses membres augmentoit comme ses ans ; mais en vieillissant il se sentoit, au contraire des autres, enflammer d’un grand désir de bien faire, particulièrement pour lui qui étoit son idole. C’est pour