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« J’ai commencé à faire un petit trait de mon tableau que j’aurais aimé à exécuter convenablement pour vous en donner une idée un peu exacte ; mais ce trait est d’une si petite dimension, que j’ai fini par le barbouiller ; il me faut même une certaine résolution pour vous l’envoyer. J’ai fait les figures plus grandes pour le cadre qu’elles ne le sont dans mon tableau, d’où résulte, comme le dit Odier, une composition plus embrouillée qu’elle ne l’est en réalité.

« La figure du vieillard de milieu, qui, dans le trait, est tout-à-fait manquée, en ce qu’elle n’a pas le mouvement qu’elle offre dans le tableau, représente un chef de ces grandes barques entouré d’attirails de pêche que ses hommes sont occupés à transporter dans son bâtiment. Il porte le pavillon de son embarcation, détail très singulier et très original dont on n’a pas idée ailleurs. Avant de partir, et au moment même du départ, ils mettent un ornement de branches de verdure à ce pavillon, qu’ils placent au bout du grand mât. Il y en a un aussi sur le second mât, mais moins grand. Ce vieillard est en rapport avec les hommes qui sont sur le bâtiment et qui élèvent la grande vergue. Sa femme, malade, et sa fille assistent à la scène ; elles sont sorties de leur habitation, dont l’enceinte, garnie d’un cep dépouillé, se voit derrière. Plus loin est une petite madone dont la perspective ne laisse apercevoir que la croix qui la surmonte. J’ai cherché à donner à ces deux figures l’expression que dans la nature je crois sentir, et il paraît que ce n’est pas la partie faible de mon tableau.

« Des trois figures du premier plan, au centre, celle qui est plus à droite est le pilote chargé de la petite caisse qui renferme la boussole. Il attend le moment du départ, et ses yeux tournés vers l’horizon cherchent à deviner le temps que le ciel leur prépare dans la mauvaise saison où ils vont quitter leur famille. Je voudrais mettre sur sa figure l’expression d’une inquiétude que motivent et ses craintes et le chagrin de quitter une femme qu’il aime. Celui qui est assis auprès de lui est un de ces loups de mer à face caractérisée. Occupé, depuis le matin, à arranger les filets qui l’entourent, il vient de terminer sa tâche : l’instrument dont il s’est servi est encore dans ses mains. La troisième figure est un jeune homme de quatorze ans qui dispose ces filets sur une civière pour les transporter sur la barque. Déjà une partie est placée, il se retourne pour juger de ce qu’il lui reste.

« Je ne vous ai pas parlé de l’enfant qui est avant le vieillard. Ce rapprochement de l’enfance et de l’âge avancé m’a plu. J’ai voulu indiquer aussi combien le désir de tout voir et de tout connaître est plus précoce que la crainte des dangers. En avant de ce jeune enfant sont deux pêcheurs qui portent la même voile et se dirigent vers la lagune.

« Mon fond est bien simple peut-être, mais j’en suis revenu à ce qui m’a frappé le plus. Les murazzi s’aperçoivent en avant. Derrière est la