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ma dernière, je vous annonçais que je voulais reprendre mon genre de vie sédentaire. Il me semblait être raisonnable ; mais le souvenir des réflexions qu’Aurèle vous a faites à ce sujet m’a fait réfléchir moi-même, et j’en ai conclu que je devais un peu plus écouter les autres pour ma direction. Ainsi, vous me retrouverez, comme je l’espère, plus sensé. J’ai reçu aujourd’hui mon diplôme de membre étranger de l’académie de Venise. La demande a dû être faite à l’empereur, et toutes ces démarches, qui ordinairement sont très longues, ont eu cette fois une promptitude dont tout le monde me félicite.

« Le bon Aurèle est bien le meilleur être que je connaisse ! Je suis si heureux de lui voir ce caractère calme et content, si nécessaire pour goûter la vie et donner le plaisir aux autres, que toujours de le voir, de l’entendre, me charme. C’est, en somme, ma grande satisfaction.

« Quant à moi, je reconnais à présent, mieux que jamais, combien il est essentiel à l’homme de ne pas s’abandonner à cette disposition malheureuse de se complaire en ses seules idées. On finit par se persuader que l’on n’est plus en rapport avec personne.

« Que de réflexions j’ai déjà faites à ce sujet en récapitulant ma vie, en reconnaissant que dès l’enfance j’ai eu ce tort, qui, je crois, m’est venu d’une timidité trop grande, d’une sensibilité exagérée et du peu de contentement de soi-même, ou, pour mieux dire, de ma trop grande envie d’avoir l’approbation des autres, et de la crainte que j’ai toujours eue de ne pas la mériter ! Avec cette propension, une imagination ardente qui travaille toujours est capable d’entraîner vers bien des malheurs. Oui, excellent ami, je m’étonne souvent de voir le bon et le bien mêlés avec le mal d’une manière si particulière, que je me demande où se trouve le bonheur. Je reconnais la puissance divine qui dirige tout, et j’aime à la croire toute bonté et toute justice. Je reconnais toutes les faveurs qu’elle a bien voulu m’accorder : j’en suis attendri ; mais comment se fait-il que cet attendrissement me laisse toujours une tristesse dont je ne puis me débarrasser ? Je voudrais en être heureux, en jouir comme je le devrais, et je ne puis ! Ne dois-je pas y reconnaître une destinée singulièrement funeste ? Pardonnez-moi, ô vous que j’aime tant et à qui je ne voudrais donner que des sujets de contentement, si je vous parle de manière à vous attrister ! Soyez sûr qu’une partie de mon contentement est venue par vous ! Puissiez-vous en avoir quelque satisfaction ! »

Voici la dernière lettre :

« Le 15 mars 1835.

« Mon cher ami et précieux conseil, m’est-il possible de ne pas sentir avec la reconnaissance la plus vive votre bonté pour nous ? J’ai deux longues lettres auxquelles je dois répondre, mais mon cœur est si plein, que je ne sais de quelle manière commencer, ni ce que je puis vous