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dire pour me satisfaire. Puisque vous voulez me réjouir de l’arrivée de mes caisses (contenant les Pêcheurs), je vous dirai aussi que cette nouvelle nous a donné un moment de bonheur bien grand, et qu’elle nous a mis dans un état plus tranquille. Avec ma malheureuse imagination, il semble que j’aime toujours voir le pis en tout, ce qui est mal, et je m’affecte toujours bien à tort, comme si l’on ne devait pas réserver sa force morale pour supporter le mal réel. Je vous parle de résignation, cher ami, et je n’ai pas assez de confiance ! Ce qui surtout m’a ému au dernier point, c’est le succès d’Aurèle. Quel bonheur, et qu’il va avoir de fruit ! Quel plaisir pour notre famille ! et lui, comme il est heureux ! Il n’en a pas dormi, la nuit passée, d’émotion. Il faut tout attribuer cela à qui de droit. Oui, mon incomparable ami, la Providence nous conduit chacun par le chemin qu’elle trouve convenable. Plus je vais, plus je me le persuade. Mais je ne veux pas me jeter dans un sujet qui m’entraînerait en de longues réflexions, que je n’expliquerais pas comme je voudrais. C’est Aurèle qui s’est empressé de voir la fin de votre lettre pour savoir si les caisses étaient arrivées, et je vous laisse à penser quelle joie il a eue à me lire votre dernière page, et quel plaisir elle m’a donné à entendre ! Vous faites trop d’éloges, excellent ami, de ce tableau (les Pêcheurs), fait avec tant de peines, tant de chagrins ; et toute cette volonté et cet entêtement d’énergie, employés pour satisfaire la vanité, auraient pu être placés sur un bonheur plus solide. Mais, enfin, les réflexions à ce sujet m’ont été faites par vous souvent, et je sais ce que vous pensez à cet égard.

« Mais, pour en revenir à mon tableau, il paraît qu’il est arrivé en bon état. C’est une grande chose que je sens. Nous verrons ensuite s’il parvient à être exposé. Pour vous dire franchement, je crois qu’il le sera, avec votre désir et vos bons soins ; mais véritablement, quant à moi, il me semble que je n’y pense pas assez pour que j’y trouve un grand bonheur, si cela arrive. Voilà encore quelque chose que vous condamnerez, et vous aurez raison, car, enfin, il est naturel, quand on fait quelque chose, de désirer de le voir juger. J’en reviens au tableau d’Aurèle. Ce bon M. Delécluze ! je l’embrasserais pour son article au sujet de mon frère[1]. Voilà donc un pas en avant de fait pour ce cher frère, et son genre pris : un genre qu’il sent, qu’il aime, et dans lequel, je suis sûr, il peut mieux faire encore. Que de raisons pour lui donner de la confiance ! Ce vilain intérêt que l’on semble mépriser donne tant

  1. Léopold Robert devait beaucoup personnellement à M. Delécluze, vrai modèle dans la critique par le savoir comme par la conscience. La courageuse persistance de cet écrivain à soutenir, à recommander le talent de Léopold au milieu des distractions du public, n’a pas médiocrement contribué à appeler sur Robert, de son vivant, l’attention et les sympathies sérieuses qu’il méritait. M. Delécluze a donné en outre sur cet artiste une notice très intéressante, et qui, répandue à plus de trois mille exemplaires, a également servi à populariser le nom de Léopold.