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« Je viens de relire votre lettre, mon ami : que la page où vous voulez bien vous occuper de moi m’a touché vivement ! Soyez heureux par le bien que vous me faites ; que cette pensée soit toujours douce pour vous ! Sans doute que des conversations me plairaient davantage et me serviraient encore plus ; mais, comme vous, il m’a toujours semblé qu’un aussi long voyage que celui de Paris ne me conviendrait aucunement à présent. Ainsi, je me rends non-seulement à vos raisons, mais encore à ce que je pense. Je voudrais cependant essayer une course, mais je ne suis pas décidé où. Je craindrais Rome pour l’été ; il y fait une chaleur qui me semble ne devoir pas me convenir. Du reste, je n’ai pas trop de raison de me plaindre physiquement, car je ne sais ce que c’est que la douleur. Ce que vous m’avez dit de votre intention à l’égard de mes lettres m’a attendri ; mais, comme vous le dites, il faut penser à nos fragilités, et ne pas porter trop loin dans l’avenir nos prévisions. C’est Dieu qui règle tout, et qui sait tout, par conséquent, et tout est bien réglé, puisqu’il est toute bonté et toute justice. Je vous remercie toujours de vos conseils pour la direction que je dois prendre : je tâcherai de les suivre en tout point.

« Aurèle, qui écrit à mon côté, me dit qu’il oublie de vous parler de la copie qu’il a commencée pour vous. Elle vient tout-à-fait bien, et je suis sûr qu’elle vous fera plaisir. »

Tandis que Léopold traçait ces paroles, Aurèle, qui avait accoutumé de joindre pour leur ami commun, M. Marcotte, quelques lignes aux lettres de son frère, exprimait ainsi les craintes où le jetait l’état nerveux dont il le voyait accablé. Cette lettre servait d’enveloppe à la dernière de Léopold :

« … J’aurais voulu vous communiquer toutes mes réflexions ; la crainte de prendre l’habitude de veiller, à cause de mes yeux, m’en a empêché. Toutefois il m’en reste de surplus pour remplir ces deux feuilles.

« Je commencerai par le sujet qui m’occupe le plus : c’est mon frère. Certes, vos conseils à l’égard du voyage projeté sont sans doute les plus clairvoyans ; mais j’aimerais mal mon frère si, à la suite d’un conseil que je lui ai donné contre mes intérêts et uniquement pour son bien, je n’osais, cher monsieur, vous soumettre les motifs qui m’ont guidé.

« Vous savez ainsi que moi que le travail n’est pas la seule cause qui ait plongé mon frère dans un dégoût de la vie et un découragement qui, je l’espère, passeront, mais n’en sont pas moins préjudiciables à son travail, à sa santé et à son bonheur. Il m’a semblé que l’exercice et les distractions étaient, dans ce cas, les meilleurs remèdes. La vue de nos chères soeurs, celle du meilleur des amis ainsi que ses conseils, me semblaient devoir produire une diversion heureuse dans une existence que l’on pourrait à toute justice comparer à une victoire désastreuse,