Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou plutôt à une contrée dévastée. Il est vrai que Léopold n’a jamais montré de penchant pour cette idée, dans la crainte de porter ses ennuis partout où il irait, et parce qu’il est singulièrement attaché à cette ville de Venise dans laquelle il a tant souffert. La manière dont nous y vivons est, sous bien des rapports, préférable à toute autre. A Rome, nous ne sommes pas certains de rencontrer les mêmes avantages. D’ailleurs, le climat est plus chaud qu’ici, et le sciroccho s’y fait sentir d’une manière accablante sur les personnes nerveuses. Plus encore, la personne que nous devons tant redouter s’y trouvera, et, à moins d’une rupture qui n’est pas motivée, comment l’éviter ? Ensuite qu’aller faire à Rome, si ce n’est pour travailler encore ? Cela fatiguerait des gens qui n’auraient pas besoin de repos. Enfin, si ce n’est à Paris, je trouverais et je trouve encore (pardon de mon opiniâtreté à cause du motif) que la Suisse serait un lieu favorable pour passer l’été. Nous avons près de la Chaux-de-Fonds des bains, et Léopold, qui aime le cheval, pourrait s’en servir pour faire chaque jour une course, et ainsi faire provision de santé. Il pourrait revenir ici en automne, ou aller à Rome entreprendre quelque nouveau travail, étant en meilleure disposition ; car c’est fort important, et l’économie de temps devient nulle quand la santé ne répond pas à la volonté : ces trois années passées en sont un exemple bien convaincant.

« D’ailleurs, nous avons des amis dans plusieurs villes de Suisse, et, sans rester tout-à-fait oisif, Léopold pourrait, sous le prétexte d’aller les voir, visiter le pays et reconnaître si, plus tard, nous pouvons espérer d’y aller travailler. Il trouverait déjà à Neufchâtel de superbes ateliers qu’il ne connaît pas, que l’on a construits dans un bel édifice destiné à l’éducation publique. Malgré les raisons que je croyais voir à cette décision de voyage, je vous déclare cependant, cher monsieur, que je baisse pavillon devant celle que vous venez de donner en faveur d’un voyage à Paris, parce que vous êtes si rempli de sollicitude pour nous, que nous ne pouvons mieux faire que de nous en remettre à votre prévoyance éclairée. Toutefois je ne puis vous cacher une faute que j’ai commise et qui me fait tenir à ce projet de voyage en Suisse c’est que j’en ai parlé à nos chères soeurs, qui sont dans l’attente, et Dieu sait quel crève-cœur ! Il m’a semblé qu’un voyage de quelques mois n’était pas une affaire si importante, et dans ma joie de pouvoir apprendre une bonne nouvelle à ces excellentes soeurs, qui nous aiment tant et voudraient tant nous revoir, je me suis laissé entraîner, croyant avoir convaincu Léopold, et sans attendre les conseils de votre prudence. Qu’allez-vous dire de mon étourderie ? Cela mériterait au moins une bonne tirée d’oreilles. Quant au projet d’engager notre sœur Adèle à venir nous rejoindre, nous désirerions pouvoir l’effectuer, et certainement elle nous aime assez pour s’y décider dans un cas de maladie