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de christianisme chez le prédicateur athée. M. Grün veut bien nous apprendre à ce propos que la première femme qu’il a aimée avait des taches de rousseur, et qu’il était particulièrement épris de cette imperfection. Cette désinvolture de style, ce sans-gêne et ce déshabillé, ce n’est pas seulement le caractère propre aux écrivains de l’athéisme allemand ; je reconnais à ces épanchemens naïfs la joie qui déborde chez M. Grün. Tout à l’heure, le spirituel écrivain gambadait gaiement autour de nos socialistes, et leur faisait des niches d’écolier ; maintenant qu’il a trouvé M. Proudhon, il est ému, il est transporté, il ne se possède plus. Il est vrai que M. Proudhon a encore bien des choses à apprendre ; si M. Proudhon a deviné Hegel, il ne sait pas très exactement où en est la jeune école hégélienne ; il n’a pas suivi les travaux, de M. Feuerbach, et la religion de l’humanisme ne lui a pas été révélée. Qu’importe ? le sol est fécond, les semences de l’Allemagne vont fructifier bientôt.

Cette victoire, d’ailleurs, nous est triomphalement annoncée. À l’époque où le missionnaire le visita, M. Proudhon méditait son plus important ouvrage, le Système des contradictions économiques, et M. Grün espère bien que, profitant des leçons de l’athéisme, l’illustre élève abjurera dans ce livre ses dernières erreurs. En attendant, M. Grün nous fait assez bien connaître les travaux du réformateur français. L’écrit sur la célébration du dimanche, les trois mémoires sur la propriété sont vivement analysés. La conclusion de M. Grün, c’est que M. Proudhon est le Feuerbach de la France. M. Feuerbach a dit le dernier mot de la philosophie hégélienne, le jour où, faisant l’analyse de la foi, il a montré que l’homme se dépouillait de ses pensées les plus hautes pour en revêtir un être imaginaire, et que depuis six mille ans il était dupe de cette sublime illusion ou de cette générosité imbécile. De même, M. Proudhon a dit le dernier mot, a trouvé la formule dernière du socialisme en montrant que la vieille société accordait des droits exagérés, monstrueux, impossibles, à un être impossible aussi, à un monstrueux tyran qu’on appelle le propriétaire. La propriété, dit M. Proudhon, est en démolition depuis le commencement du monde ; M. Feuerbach en a dit autant de la divinité, et tous deux ont prouvé leur thèse. Ces deux propositions, Dieu n’est pas, la propriété c’est le vol, se confondent dans une même idée. Le propriétaire est pour le citoyen ce que Dieu est pour l’ame, un usurpateur. L’ame humaine a déclaré avec M. Feuerbach qu’elle reprenait son bien, et qu’elle se savait Dieu ; chaque citoyen reprend ses droits avec M. Proudhon, et déclare que la propriété est un vol. Je ne sais si M. Proudhon est très fier de ressembler si exactement à M. Feuerbach, je ne sais pas non plus si cette exposition de son système par M. Grün lui paraîtra tout-à-fait conforme à sa pensée ; pour moi, j’avoue que ce rapprochement ne me déplaît pas. Je crois, avec le bon sens de tous, et sans discuter encore les subtilités de la dialectique