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« C’est proprement ce que les philosophes entreprennent et sur quoi ils nous font des promesses magnifiques. Si on les en veut croire, ils nous fournissent dans cette partie qu’ils destinent à cet effet, et qu’ils appellent logique, une lumière capable de dissiper toutes les ténèbres de notre esprit ; ils corrigent toutes les erreurs de nos pensées et ils nous donnent des règles si sûres, qu’elles nous conduisent infailliblement à la vérité, et si nécessaires tout ensemble, que, sans elles, il est impossible de la connoître avec une entière certitude. Ce sont les éloges qu’ils donnent eux-mêmes à leurs préceptes. Mais, si l’on considère ce que l’expérience nous fait voir de l’usage que ces philosophes en font, et dans la logique et dans les autres parties de la philosophie, on aura beaucoup de sujet de se défier de la vérité de ces promesses. » Cette conclusion sera-t-elle la nôtre quand nous verrons à l’œuvre le Novum Organum de M. Proudhon ? J’en ai bien peur. Examinons cependant.

Je commence par le problème qui contient tous les autres. Quel est le Dieu de M. Proudhon ? Aussi bien, ce Dieu, quel qu’il soit, joue un rôle considérable dans la pensée de l’auteur, et c’est une théodicée (vraiment on ne s’y attendait guère), c’est une théodicée intrépide qui est le centre et le fondement de tout son système. M. Proudhon, il est vrai, n’admet d’abord l’idée de Dieu que comme une hypothèse sans laquelle il lui est impossible « d’aller en avant et d’être compris ; » mais cette hypothèse finit par se transformer en une réalité si concrète, elle occupe même une place si nettement et si étrangement déterminée, elle devient une affirmation si absurde, si extravagante, si monstrueuse, que le philosophe eût été mille fois plus sage de conserver précieusement son doute.

C’est une erreur naturelle à notre esprit d’attribuer à Dieu nos idées, souvent même nos passions. Combien de religions et de philosophies sont là pour accuser cette tendance ! Dieu a fait l’homme à son image, dit le catéchisme, et l’homme le lui a bien rendu, répond Voltaire. M. Proudhon se garde de commettre une pareille faute ; sa logique, il faut l’avouer, l’a mis à l’abri de cette erreur vulgaire. Pourquoi faut-il qu’elle lui enseigne, en échange, des erreurs tout autrement sérieuses ? Voici, dans un résumé aussi bref que possible, le raisonnement de M. Proudhon. Lorsqu’on étudie l’évolution des lois de la société, on aperçoit de continuelles antinomies, c’est-à-dire des faits qui amènent des faits opposés, des influences suivies de réactions inévitables, en un mot des principes sacrés que d’autres principes, également respectables, quoique tout-à-fait contraires, viennent peu à peu combattre. Ainsi, un des principes fondamentaux de l’industrie est la division du travail. C’est là une loi féconde ; sans la division du travail, point de progrès, point d’industrie véritable : la vie sociale languit et s’éteint. Mais ce principe, si excellent d’abord, produit bientôt des résultats désastreux :