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Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/323

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rentrât dans la grande famille spiritualiste dont les chefs sont la pure expression et l’éternel honneur du genre humain. Qu’est-ce donc qui s’oppose à tous les bons instincts de cette intelligence troublée ? Qu’est-ce qui comprime violemment ces secrètes aspirations d’une conscience qui s’ignore et les fait éclater çà et là en des fusées mystiques ? M. Proudhon lui-même nous révèle ce secret quand il s’écrie, à propos des œuvres de bienfaisance dont la fondation est un des plus sérieux mérites de ce temps-ci : « J’avoue que la charité de tant de personnes dut sexe, les plus distinguées par la naissance, l’éducation et la fortune, et qui se font les hospitalières de leurs sœurs en Jésus-Christ en attendant qu’une société meilleure leur permette de devenir leurs collaboratrices et leurs compagnes, me pénètre et me touche, et je me ferais horreur s’il échappait à ma plume, en parlant des devoirs que ces nobles dames accomplissent avec tant d’amour et que rien ne leur impose, un seul mot qui respirât l’ironie ou le dédain. O saintes et courageuses femmes ! vos cœurs ont devancé les temps, et c’est nous, misérables praticiens, faux philosophes, faux savans, qui sommes responsables de l’inutilité de vos efforts. Puissiez-vous un jour recevoir votre récompense ! mais puissiez-vous ignorer à jamais ce qu’une dialectique suscitée de l’enfer, car c’est la société qui l’a mise en mon ame, me forcera tout à l’heure à dire de vous ! » Vous le voyez, il s’en accuse à voix haute, sa dialectique vient de l’enfer. Il ajoute, il est vrai, que cet enfer est la société elle-même ; qu’importe ? Il n’avoue pas moins que c’est la haine qui l’inspire, et cette confession, malgré l’arrogance de l’accent, indique peut-être les émotions confuses du repentir.

Il dit encore : « Qu’on ne juge pas de la dureté de mon cœur par l’inflexibilité de ma raison. Mes sentimens, j’ose le dire, ont toujours été ce qu’amis ou ennemis pouvaient désirer qu’ils fussent ; quant à mes écrits, si sombres qu’ils paraissent, ils ne sont, après tout, que l’expression de mes sympathies pour tout ce qui est homme et qui vient de l’homme. » Arrêtons-nous sur cette citation ; après une critique dont je ne suis pas libre d’adoucir les termes (ne serait-ce pas, en effet, me rendre coupable d’une ridicule hypocrisie, m’attaquant à un homme qui traite avec mépris les plus glorieux guides de l’humanité ?), après une critique où j’ai dû exprimer sans ménagement ma pensée tout entière, il m’est doux de recueillir de M. Proudhon ce consolant témoignage ; il m’est doux de pouvoir mettre d’un côté les intentions de son cœur, de l’autre les détestables erreurs de son esprit. Oui, le mal, le démon tentateur, chez M. Proudhon, c’est sa pernicieuse dialectique ; je ne dis pas avec lui que c’est l’inflexibilité de sa raison ; j’ai montré, au contraire, combien cette raison se trouble et se réfute sans cesse ; je dis que c’est sa dialectique envenimée, sa logique haineuse, qui lui ordonne de chercher partout des oppositions, de les exagérer, de les inventer