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elles n’effleuraient en rien les dogmes de sa confession. Sans être un de ces disciples arriérés du vicaire savoyard, manières de déistes qui, n’accordant point d’autorité à la forme religieuse, séparent le culte de la croyance et prient Dieu en abstraction, il trouvait que tout lieu consacré, église romaine ou temple protestant, lui était bon pour la prière. En un mot, il appliquait en toute occasion, sans s’en douter, cet accord des religions qui, pour le dogme, avait occupé si long-temps sans succès et Bossuet et Leibnitz. Arrivait-il au moment d’une prédication du clergé romain, il se mêlait volontiers à l’auditoire, et se faisait sa part, persuadé que la pure morale venant de Dieu est bonne dans toutes les bouches. Ainsi, après sa visite au quartier juif, il avait visité plusieurs églises. Écoutons-le lui-même.

« A Saint-Jean et Saint-Paul, j’ai trouvé en chaire un prédicateur qui avait un auditoire nombreux, ne se composant en grande partie que de gens de la classe inférieure, auxquels il faut parler un autre langage qu’aux personnes instruites. On frappe et on captive l’attention des gens du peuple bien plus par le débit que par le choix des paroles ; en d’autres termes, un prédicateur dont les gestes et la voix tiendront leurs yeux et leurs oreilles ouverts leur fera bien plus d’effet que celui qui prendra un autre moyen pour toucher leur cœur. Voilà pourquoi ceux qui aiment la simplicité et la dignité dans les prédications des hommes préposés à convaincre des vérités de la religion ne sont pas toujours satisfaits ici. Quoi qu’il en soit, je suis toujours ému en voyant les habitans de cette terre manifester leur besoin de chercher la véritable source de toute consolation pour les jours de l’adversité.

« Ce qui m’a aussi frappé à Venise, c’est le recueillement respectueux de tous ceux qui vont dans les églises. On y va pour prier. Vous pourriez me demander ce que j’y vais faire, moi qui ne suis point un adepte. Je ne crois pas pourtant y porter des sentimens blâmables. Je souffre de voir des hommes qui tous devraient vivre en frères établir entre eux une ligne de démarcation, quand il leur serait si facile de s’entendre. Le secret serait de tenir un peu plus au fond et moins à la forme. Je vous avoue, pour moi, que je suis bien autant disposé à élever mon ame vers le Créateur dans une église catholique que dans un temple protestant[1]. »

Ce n’est donc point dans les récits de Mme de Valdahon, ni dans les conjectures de mistress Trollope, qu’il faut chercher les causes du suicide de Robert : la vérité est ailleurs. Léopold, comme Jean-Jacques Rousseau, était un hypocondriaque qui portait dans son sein des germes de destruction. Jean-Jacques était un hypocondriaque atrabilaire et misanthrope dont un orgueil féroce, tourné en folie, rongeait le cœur

  1. Lettre à M. Marcotte, Venise, 14 septembre 1832.