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dans la solitude en lui montrant partout l’enfer de l’humanité déchaîné contre lui[1] ; Léopold, un mélancolique doux et tendre au prochain, dur à lui-même.

Il faut considérer d’abord que Robert, quand il se frappa, était arrivé à une époque climatérique de la vie humaine ; ensuite, sa constitution nerveuse était originelle et héréditaire ; une vie d’isolement n’avait fait que la développer encore. Sujet, dès les premiers temps de son séjour à Rome, à des hallucinations qui l’enlevaient au monde réel, tantôt il croyait entendre l’harmonie des sphères célestes, tantôt il conversait avec les anges. C’est ainsi qu’un jour, en avril 1820, comme il reconduisait, avec de nombreux artistes, Victor Schnetz, qui retournait en France, il disparut tout à coup au moment où la compagnie déjeunait près de la cascade de Terni. Son digne ami le peintre Allaux, maintenant directeur de l’académie de France à Rome, le chercha de tous côtés, et le découvrit enfin réfugié sur un rocher voisin, les yeux levés vers le ciel, et prêtant une oreille attentive aux chœurs divins « Partez, je vous rejoindrai plus tard, cria Robert ; je reste avec les anges. Les voilà qui ondoient par l’air autour de nous ! »

D’autres fois, tout s’offrait à lui sous un jour funeste, et il se jetait tête baissée dans les sentiers ténébreux d’une imagination malade. Chaque chose lui était un sujet de douleur. Les sacrifices faits pour son éducation par sa famille, et qu’il n’avait pu rembourser qu’en 1828, lui revenant incessamment à l’esprit, lui causaient un attendrissement qui dégénérait bientôt en tristesse, et il finissait par y voir la cause des malheurs arrivés depuis aux siens. Son frère Aurèle, qu’il avait appelé auprès de lui, et qui se montrait, par la rapidité de ses progrès et le dévouement le plus touchant et le plus entier, digne de ses soins, lui devenait également un objet de souci. — Risquerait-il son avenir en l’engageant tout de suite dans le grand genre où un talent distingué peut seul trouver des ressources ? Se bornerait-il à lui faire commencer des dessins d’après ses tableaux pour les graver ensuite ? — Sa tendre

  1. Tout ce que l’on a dit du caractère quelquefois odieusement ingrat de Jean-Jacques disparaît devant le fait de sa folie hypocondriaque. Personne n’a mieux analysé et défini l’état de cet homme de génie, si étrange et si malheureux, que la comtesse de Boufflers dans ses lettres à David Hume (Vie et Correspondance de cet écrivain publiée, en 1846, à Édimbourg, 2 volumes in-8 ; Correspondance du même publiée à Londres, in-4o, et lettres autographes inédites de la comtesse de Boufflers, déposées à la bibliothèque de Neufchâtel). C’est mieux que de l’esprit qui brille en ces étonnantes lettres, c’est la plus haute, la plus ferme raison. Et cependant cette dame, qu’il ne faut pas confondre avec la marquise, née de Beauvau-Craon, mère de l’esprit facile et léger qui écrivit au pastel comme il peignit le portrait, est à peine connue ! Marie-Charlotte-Hippolyte Campet de Saujon avait été mariée au comte Édouard de Boufflers-Rouvre). Sa mère avait épousé en secondes noces un marquis de Montmorency-Laval, et son fils épousa Mlle Desalleurs, en 1768.