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aussi estimé, et qui mérite autant de l’être, me charme. Il a un abord si bon, si amical, et tant de facilité à causer de tout, que je gagne beaucoup à le voir. Sa maison est aimable, et sa femme, qui est bonne aussi, est Italienne dans toute la force du mot, c’est-à-dire un de ces caractères qui ne pensent qu’au bonheur matériel sans s’occuper d’idées et de sentimens. La société qu’on y rencontre est instructive ; mais je vous le dirai à vous, cher bon ami, la société italienne, quelque bien choisie qu’elle soit, ne me rend jamais le cœur content ni l’ame heureuse, parce que j’y trouve bien moins souvent la réalité que l’apparence, et qu’on y parle plutôt des beaux sentimens qu’on ne les met en pratique… Ce que je suis entraîné à vous dire n’est pas pour blâmer des individus, mais pour faire des remarques générales sur un peuple qui, avec des qualités si supérieures, n’a pas encore, à mon sens, atteint le degré de perfectibilité dont il est susceptible. Chez lui, la première éducation est trop peu dirigée pour agir avantageusement sur le cœur ; trop de liberté gâte les mœurs ; la dignité d’une vertu sévère n’est pas connue, et des sentimens factices font surtout trop oublier les devoirs les plus essentiels pour les remplacer par quelques formules de religion, en faisant bon marché du fond. De là, chez les gens surtout qui ont coutume de céder à leurs passions, une superstition singulière qui transige avec elles, et que je n’ai jamais pu comprendre dans une classe qui raisonne ou qui peut raisonner. Je crois pourtant que la génération nouvelle marche à des progrès sensibles. L’instruction des femmes surtout est mieux dirigée ; elles tiennent davantage à leur intérieur, quelque légèreté qu’on remarque encore[1]. » - Jugement chagrin et exagéré de solitaire !

« D’ailleurs, poursuit-il, concluant sur la question du mariage, chacun n’est pas destiné par le sort à éprouver le bonheur. La volonté de rendre heureuse la personne disposée à se consacrer à nous n’est pas suffisante ; il faut encore en avoir la possibilité. Une vie en apparence peu agitée l’a été beaucoup et par un caractère trop disposé à s’affecter de tout et par une imagination trop ardente peut-être. Ce caractère en a pris une teinte qui obscurcit les idées de bonheur forgées dans l’âge où l’ame est neuve encore. Bien des illusions sont mortes en moi ; l’espoir s’évanouit, le désir seul reste de me faire une existence qui me permette calme et repos, et, pour le moment, rues pensées d’avenir ne dépassent pas quelques années. »

Vingt fois, dans ses lettres à MM. Marcotte et Snell, il revient sur ce sujet, qu’il rembrunit de ses tristesses et de son dégoût de la vie, et tout se résume pour lui à dire à peu près ce que disait le Poussin vieillissant : « Qu’ai-je affaire de tant tenir compte de ma vie, qui désormais

  1. Lettre à M. Marcotte. Venise, 12 octobre 1832.