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me sera plus fâcheuse que plaisante ? La vieillesse est désirée comme le mariage, et puis, quand on y est arrivé, il en déplaît. »


X

Avant d’arriver aux incidens de la folle passion qui fut une des causes de la mort de Léopold, remontons un instant le cours de sa vie ; suivons-le dans le monde ; mettons-nous en tiers dans ses rares intimités, pendant ses divers séjours en Italie : on comprendra mieux le charme particulier qui exerça une si douloureuse influence sur ses dernières années.

Après ses premières peintures importantes, la renommée lui avait ouvert les salons de beaucoup de grandes maisons à Rome, à Florence, à Venise, et néanmoins, par une aversion décidée pour le monde, par une sauvagerie toujours croissante, sa vie avait été presque aussi retirée que constamment laborieuse. Il se levait de bonne heure, travaillait tout le jour, et passait une partie de la nuit à écrire. Dans le carnaval de Rome, si follement emporté au Corso, il fuyait l’étourdissante cohue ; les dimanches et les jours de fête, il n’évitait pas moins les plaisirs bruyans. Entouré de jeunes compatriotes qu’il dirigeait dans leurs études et qui l’aimaient comme un père, il visitait à l’orient et au midi de Rome, dans la partie silencieuse de la ville, quelque beau site ou quelque ruine ; il errait, aux heures du jour où tout est solitude, dans les jardins de la villa Panfili-Doria, plantés sur les dessins de Le Nôtre et de La Quintinie, ou bien encore on l’apercevait, en dehors de la porte du Peuple, aux jardins dont le grand goût de M. Joseph Massani faisait, dès cette époque, une des curiosités des environs de Rome. Souvent il parcourait, toujours seul, le territoire étrusque des Trasteverini, demi-bourgeois, demi-manans d’une trempe vigoureuse et primitive, vrais modèles d’artiste, qui se donnent pour les purs descendans des vieux Romains. Parfois, se jetant au hasard dans le désert antique de la campagne de Rome, tapissé de ronces, de genêts et de fenouil, parsemé de troupeaux de chèvres, de bœufs et de buffles, il disparaissait pour des semaines et s’ensevelissait en quelque étude, ou, vaguant sans but, il allait se chauffer au feu des pâtres et des pifferari, et son hypocondrie goûtait de tristes joies à fuir le monde pour se rapprocher de la nature. Le Colisée était aussi l’un des buts de ses promenades solitaires. L’aspect majestueux de ce monument, qui plaît autant qu’il étonne, parce qu’il est simple, relevait toujours ses esprits défaillans ; plus d’une fois, au milieu de ses travaux, on le vit jeter sa palette pour aller devant ce géant de pierre agrandir et retremper son ame. Ainsi, à l’époque où Michel-Ange travaillait à sa coupole, on l’aperçut, au cœur de l’hiver, arrêté, méditant au plus haut du Colisée.