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À Rome, c’est moins dans la haute société que dans le peuple qu’il faut aller chercher cette beauté majestueuse, élégante et reposée, qui porte la tête avec toute la dignité des sénateurs et des matrones de la république romaine, et dont Robert s’était constitué le peintre. C’est là surtout que de magnifiques vieillards, qui semblent comme descendus des tableaux de Raphaël, prouvent la vérité de cette belle parole de Joubert : « Les vieillards sont la majesté du peuple. » Quand le fachino romain, aux cheveux de jais luisant, au teint chaud, au regard intelligent, à la taille vigoureuse et légère, jette avec un instinct d’artiste sa veste de velours sur son épaule, à défaut de manteau, l’expression de ses traits prend un caractère de fierté particulière, et l’on retrouve le type élevé de la statuaire antique

Solo isguardando
A guisa di leon quando si posa[1].

Tel était le milieu où Robert aimait à vivre ; tels étaient ses héros et ses dieux, tandis que d’autres faisaient poser des Jupiter et des Romulus à cinq francs la séance. Plus d’une fois, se mêlant à ses modèles, il a fait son profit de tel trait vif et court échappé à quelque bouche du peuple, et qui décelait souvent une impression plus forte et plus intelligente des beautés de la nature et de l’art qu’on n’en trouve dans plus d’un gros livre de nos jugeurs jurés.

L’année 1822, la première où Léopold ait exposé au salon du Louvre, vit paraître, avec quelques-unes de ses peintures dont les brigands des montagnes de Terracine lui avaient fourni les modèles, de petits sujets de moines et de religieuses, et les regards en France commencèrent à se fixer sur lui. Les connaisseurs furent frappés davantage encore de l’Improvisateur napolitain, substitué à la Corinne et exposé en 1824. Cette composition, d’une noble simplicité et le premier grand tableau de Robert, prépara les succès éclatans qu’il devait obtenir plus tard. Le caractère des deux figures principales est écrit avec énergie et bien contrasté. On voit aussi que l’artiste, préoccupé de l’expression variée d’attention de chacun des personnages groupés autour du chanteur, s’est étudié à rendre l’extase moitié sensuelle, moitié intellectuelle, qui berce au son de la cantilène, sous leur climat privilégié, ces voluptueux Napolitains.

La Sicile, autrefois la Grande-Grèce, le royaume de Naples, dont la capitale est l’antique colonie des Cuméens, ont conservé dans les traits et dans les mœurs de leurs races populaires de profondes traditions de leur généreuse origine. La vie en plein air qui rend l’homme à la nature en l’enlevant à la société, l’habitude de la cadence dans la démarche, de la danse dans les fêtes religieuses et profanes, de la pompe

  1. Dante, Purg. VI ; V. 65-66.