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dans les processions, des costumes éclatans, des tresses de fleurs et des ornemens de fruits dans tous les usages publics et privés, tout rappelle l’antiquité païenne. C’est un violon en tête que les paysans se mettent en marche pour aller ouvrir le labourage ; c’est au son du tambourin et des castagnettes qu’ils rentrent les moissons et les vendanges. La femme danse-t-elle, son aspect revêt à l’instant une sorte de grandeur et de fierté, et son enthousiasme vertigineux et électrique finit par emprunter quelque chose du délire de la pythonisse. L’homme du peuple, comme pour attester que le laurier d’Horace, de Virgile et du Tasse n’a point épuisé le sein fécond de la campagna felice, a le don de l’improvisation poétique, cette liberté de la presse populaire de la vieille société italienne toujours divisée, quelquefois indépendante, jamais libre. La poésie est partout : dans le chant, dans la danse, dans les harmonies de la mer, dans tous les mystères d’une admirable nature qui fait vibrer à la fois les cordes de l’imagination, de l’ame et des sens. Robert en était encore à la fraîcheur des premières impressions d’un voyage à Naples. Comment n’eût-il pas été inspiré par cette population sauvage, il est vrai, indolente, frivole, dépourvue de dignité, mais non vulgaire, mais facile et bonne, si naïve surtout dans ses enthousiasmes et si fortement pittoresque ?

Tout ce qu’il exposa aux Salons de 1822 et 1824 appartenait au même ordre d’idées : toujours de ces scènes familières qui s’offraient incessamment sur ses pas ; mais l’Improvisateur attestait par la cadence des lignes, par l’élévation et la pureté du style, par le choix des détails, les efforts de l’artiste pour agrandir sa manière, et s’élever, à force de puissance de rendu, à force de vérité d’expression et de coloris, au niveau du génie créateur[1]. Quelques détails du tableau trahissaient, il est vrai, l’incertitude qui avait pesé primitivement sur la composition. Ainsi, les jeunes filles assises aux pieds du rapsode, et qui, prises individuellement, sont toutes de fort belles études, ne se lient point d’intention, d’une manière assez complète, à l’ensemble de l’action, et l’on pourrait dire qu’elles figurent là moins pour l’acteur que pour le spectateur. Cette harmonie, cette unité de composition, — l’une des plus capitales difficultés de l’art, — fut, en tous les temps, comme nous le verrons dans la suite, l’un des écueils contre lesquels le talent de Robert eut le plus à lutter. « Ces dernières parties sont du peintre, » comme dit le Poussin, « et ne se peuvent enseigner. C’est le rameau d’or de Virgile, que nul ne peut trouver ni recueillir, s’il n’est conduit par le Destin. »

La trace de ses courageux efforts n’était pas moins notable dans de petits tableaux de la même année 1824, représentant des Pèlerins se

  1. Ce tableau fut payé à Robert 3,500 francs.