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preuves de votre amitié m’émeuvent toujours davantage. Comment ne pas croire à une autre existence où l’on pourra s’aimer sans crainte et sans le chagrin que donne l’instabilité des choses de ce pauvre monde ? Pour moi, j’ai le bonheur de sentir que je vous aimerai encore après ma mort. Je me vois réuni à toutes les ames avec lesquelles j’ai sympathisé. Cette idée, qui est une conviction intime, me donne tant de joie, me met dans un état si heureux, que je m’en attendris quelquefois comme un enfant. Je sens aussi que cette disposition, loin de m’ôter de l’énergie, m’élève et m’est une garde contre les malheurs de la vie, qui peuvent me faire bien souffrir, mais ne peuvent m’abattre. Je présume trop peut-être de ma force morale, moi surtout, qui n’ai bu à la coupe du malheur que de loin en loin ; encore l’amertume n’a pas été aussi grande que celle des infortunés qui en boivent la lie. Ma gratitude envers Dieu, que je me représente comme étant l’ame des mondes, est bien vive, quand je me demande si je mérite ces bénédictions particulières.

« Mon troisième tableau des Saisons serait bien en train maintenant ; mais, en y pensant bien, j’aime mieux quitter Florence : il y a une épine qui m’y pique ; peut-être à distance la sentirai-je moins. »

Puis, le 26 mars 1832, à Venise, son secret commençait à lui échapper par tous les pores, et ses dénégations, petite supercherie de sa timidité, devenaient presque des aveux. « Il me reste à vous entretenir d’un sujet sur la voie duquel vous m’avez mis, en me donnant vos excellens conseils. Que ne puis-je vous dire tout ce que mon cœur sent de reconnaissance pour une amitié si vraie et si bienveillante ! Votre sollicitude vous a fait découvrir des sentimens que je me cache peut-être, mais qui pourtant ne me rendent jamais malheureux, et surtout ne m’ôteront pas le besoin que j’ai de produire et de faire mieux. D’ailleurs, est-ce à mon âge que la folie souffle ses sottises ? Je ne le crois point. La raison a pris le pas et conduit d’une main plus sûre…

C’est la soirée seulement que j’allais chez ces dames, encore n’y allais-je point chaque jour (en avril 1831, il disait le contraire). J’avoue que je trouvais un grand charme à ces visites. Cette tranquillité, cette douceur de rapports, me rappelaient mes soirées dans votre maison. Ces dames se contentent, pour toute distraction, de la société de quelques amis. Les conversations, toujours intéressantes, donnent l’envie de se conduire bien, élèvent l’imagination en faisant consister la véritable gloire dans le mérite et le talent. Si vous connaissiez leur intérieur, vous ne pourriez leur refuser la plus grande estime pour leurs vertus. La comtesse de Survilliers étant depuis long-temps malade, sa sœur, Mme de Villeneuve, et sa fille, firent un voyage en Italie pour la voir, comptant n’y rester que peu de temps. L’état de la comtesse est tel actuellement, qu’il y aurait barbarie de la part de sa sœur à la