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nouvelles du roi des Français. Des rapports ainsi commencés ne pouvaient qu’aller s’aigrissant chaque jour davantage ; ils finirent par devenir tels que les ambassadeurs durent être retirés de part et d’autre. Ce fut encore une démarche hasardée du cabinet impérial qui amena cette extrémité, et cependant l’empereur en souffrait visiblement.

L’absence de l’ambassadeur de France à la cour de Saint-Pétersbourg contrariait le souverain absolu. Cette place laissée volontairement vide parmi les représentans étrangers était de mauvais exemple. Elle rappelait incessamment, au siège même de sa puissance, que la domination de cette volonté cessait aux frontières de l’empire, et qu’il y avait un gouvernement dans le monde décidé à lui résister. Il n’y eut pas de moyens que n’employât le czar pour dissimuler cet échec. Il prit un instant à tâche de donner à entendre que la rupture n’était point de son fait, point même du fait du gouvernement français ; il lui plut d’en faire porter la principale responsabilité sur le chargé d’affaires de France à Saint-Pétersbourg, et de le représenter comme avant outrepassé les ordres de son cabinet. Rien n’était moins vrai. Pour ravir cette dernière ressource à l’orgueil offensé du czar, le ministre des affaires étrangères de France (c’était celui du cabinet du 29 octobre) prenait soin de mettre à la poste ordinaire des lettres confidentielles au chargé d’affaires de France, dont les adresses étaient mises et contre-signées de sa main. Dans ces lettres, l’ensemble et les détails de la conduite de notre agent étaient hautement approuvés, et les excentricités de l’empereur jugées avec une impassibilité imperturbable. On sait les habitudes de la police russe : vingt-quatre heures à l’avance, notre agent apprenait, par les confidences de quelques amis bien informés, quel était au juste le texte précis des missives qu’il n’avait point encore reçues, et quels passages avaient le plus fait tressaillir le czar. Un mode nouveau de vengeance choisi à cette époque mérite peut-être une mention particulière. De sa personne, l’empereur affectait de se soucier très peu de l’attitude gardée à Saint-Pétersbourg par l’agent français. Il continuait de lui témoigner les égards qui lui étaient dus, et de le traiter sur le même pied que les autres diplomates de son grade ; mais il fut tout d’un coup établi que la cour entière avait profondément ressenti l’injure faite au souverain, et que, par un mouvement spontané de susceptibilité nationale, elle avait résolu de rompre toute relation avec la légation française, de ne plus vouloir reconnaître et saluer même les personnes qui en faisaient partie. Ainsi les emplois étaient strictement assignés. Comme de juste, l’empereur avait pris le beau rôle ; il avait laissé l’autre à ses sujets. La présence à la maison de France d’une femme jeune et élégante rendait la consigne plus dure ; n’importe, elle fut exécutée avec un ensemble et une ponctualité qui faisaient honneur à la discipline impériale.