des Serbes qui a le privilège de produire le plus de ces batailleurs épiques, puissans sur l’imagination sensible des masses. Si la Croatie eût manqué d’un chef militaire pour les événemens qui se préparaient, elle l’eût trouvé dans la démocratie serbe ; et, pour ne parler que d’un seul, Milosch, prince détrôné, mais célèbre parmi les Illyriens, s’offrait de lui-même. Toutefois, derrière le nom de Milosch se cachait une ambition personnelle hostile au chef actuel des Serbes, Alexandre Georgewitz, brave, honnête et loyal entre tous les Illyriens. Aussi M. Louis Gaj avait-il tourné ses yeux d’un autre côté. Depuis long-temps, il avait dirigé la faveur et les espérances des patriotes d’Agram vers un officier des colonies militaires croates, esprit cultivé, hardi, poétique et en même temps illyrien par la langue, démocrate dans ses mœurs : Joseph Jellachich. Les colonies militaires de la Hongrie, formées à l’est de Valaques et de Szeklers ou Sicules, qui sont Magyars, appartiennent, dans la Croatie et l’Esclavonie, à la race illyrienne. Elles forment la meilleure milice de l’empire, et, depuis un siècle, ce sont elles qui ont mérité tous les lauriers que l’Autriche a cueillis. Les hommes y naissent, vivent et meurent soldats, sur une terre cultivée en commun, dans les principes rigoureux de la fraternité et de la discipline militaire. Populations peu fortunées, mais intelligentes et non point sans éducation, très avancées par exemple dans la connaissance du droit qui régit leurs propriétés et leurs personnes, elles étaient fort accessibles aux idées nouvelles qui travaillaient la Croatie, et en effet, partout où les officiers étaient Illyriens, la propagande y avait pénétré victorieusement à la suite des journaux de M. Gaj. Les colonies militaires, sous l’influence de cet esprit, tendaient de jour en jour, et sous les yeux de l’Autriche, à devenir les gardes nationales de l’illyrisme. Jellachich, arrivé au grade de colonel, avait, entre tous les autres officiers de la frontière, gagné la sympathie des soldats croates et attiré les regards des agitateurs d’Agram. M. Gaj, devenu puissant à Vienne, obtint la nomination de Jellachich à la dignité suprême de vice-roi de Croatie. L’illyrisme avait ainsi trouvé une épée.
Jellachich est plus qu’une épée. Brave et chevaleresque sans avoir le bras homérique de George-le-Noir ou de Voutchich, il a sur eux l’avantage d’une culture d’esprit très étendue ; ses études et les connaissances qu’il a puisées au contact des civilisations occidentales, loin d’avoir étouffé en lui l’originalité de son génie slave, en ont servi peut-être le développement, en lui donnant une notion claire des grands intérêts au milieu desquels il est appelé à jouer un rôle. Doué comme slaviste d’une intelligence moins érudite que celle de Louis Gaj, il a de plus que le publiciste illyrien la connaissance approfondie d’un autre monde au-delà du monde slave. Il connaît l’Europe avec ses passions, ses idées ; sa puissance de civilisation, et, par dessus la tête des Allemands,