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il tourne souvent les yeux vers la France. Cependant c’est en lui-même et dans l’instinct national de l’Illyrie qu’il puise ses inspirations, et c’est sur les convenances et les nécessités de l’intérêt illyrien qu’il règle sa conduite. En prenant possession de ses fonctions de ban, il est entré corps et ame dans la pensée de Louis Gaj : alliance avec l’Autriche, guerre contre les Magyars.

L’Autriche, menacée de Milan à Cracovie, ne pouvait guère marchander sur les conditions : elle se mit en quelque sorte à la discrétion des Croates. D’ailleurs, elle n’était plus en position de faire face aux événemens sans le concours de l’illyrisme. Les Croates, par leur esprit national, sont tout-puissans sur la Dalmatie, qui est un membre détaché du royaume de Croatie, sur Trieste, qui est peuplé d’Illyriens, sur la Carniole, la Carinthie et la Styrie, provinces situées sur le chemin de Vienne à l’Adriatique et à Venise. Enfin ces mêmes Croates, qui ont derrière eux, avec la partie méridionale de l’Autriche, l’immense appui moral, et au besoin armé, des Illyriens de l’empire ottoman, les Bulgares, les Bosniaques, les Serbes et les Monténégrins, éveillent aussi au nord de la Hongrie, en Bohême, et jusqu’en Pologne, d’énergiques sympathies qui sont pour eux une influence.

Bien que les Tchèques de la Bohême et de la Hongrie septentrionale et les Polonais se regardent comme plus avancés en civilisation que les Croates, ces deux peuples sont forcés de reconnaître dans l’étroite Croatie l’un des plus ardens foyers de la propagande slave, l’un des endroits du monde où se discute avec le plus de virilité l’intérêt des nationalités opprimées. Il était évident que le jour où les Croates voudraient parler aux Tchèques et aux Polonais un langage fraternel, ils attireraient les uns et les autres dans leur alliance. Or, la Bohême, durement étreinte par le germanisme, savante, mais épuisée sous le poids d’une longue domination, ardente et hardie dans les recherches et les luttes d’érudition slave, mais moins belliqueuse par nature que la Pologne et l’Illyrie, caressait, depuis long-temps, la Croatie et ses écrivains, nourris et formés pour la plupart dans l’université de Prague. Quant aux Polonais, semblables au héros de Carthage, qui, après la ruine de sa patrie, parcourait encore le monde pour susciter des ennemis au nom romain, ils avaient songé à tous les points de l’Europe et de l’Asie où ils pouvaient constituer une résistance ou armer une haine contre la Russie, et ils avaient souvent épanché leurs plaintes dans le sein des agitateurs croates. Si donc les Croates ouvraient leurs bras, la Bohême et la Pologne avaient bien des raisons de s’y précipiter. Jellachich ne l’ignorait point, et, en saisissant le rôle que lui offrait la querelle des Croates et des Magyars, sa pensée, prompte et pénétrante, embrassait un plus vaste horizon. Il ne se bornait pas à se poser comme le défenseur de l’intérêt croate et de l’illyrisme ; il s’annonçait