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lieu d’une échauffourée, où ils succomberaient en quelques jours ils auront une insurrection en forme, une grande guerre, de vraies batailles avec des chances de victoire. En un mot, l’Autriche slave est pour la Pologne la plus rare fortune qui puisse lui échoir, le triomphe même du slavisme hostile à la Russie, le moyen de sortir dès à présent de la sphère des conspirations, de recommencer une existence officielle, de rassembler moralement autour de ce centre, en attendant l’indépendance, toutes les populations de l’ancienne Pologne. Quelles raisons auraient donc les Polonais de la Gallicie et de Cracovie de ne pas s’associer à la pensée des Illyriens, de ne pas entrer dans la voie déjà suivie par les députés qui ont quitté la diète de Vienne ?

Ah ! sans doute, parmi ces questions de nationalité destinées peut-être à se résoudre par la réorganisation de l’Autriche, il en est une douloureuse que les Croates semblent avoir prise à contre-sens, et l’on est porté, en contemplant les blessures saignantes de la Lombardie, à se demander si le triomphe définitif des Slaves en Autriche ne serait pas un obstacle à l’affranchissement de l’Italie. Par bonheur, aucune pensée hostile à l’Italie n’entre dans les calculs des slavistes. L’émigration polonaise, sans distinction de parti, a combattu dans l’armée lombarde ou piémontaise. Les sentimens des Tchèques sont les mêmes. Quant aux Illyriens en général, aux Croates en particulier, envisagés comme nation et non plus comme soldats, ils avaient songé, bien avant les stériles manifestations des Magyars, à contracter une alliance avec la Lombardie et le Piémont : les Magyars avaient, au contraire, repoussé cette idée. La Croatie est liée aux peuples d’Italie par des rapports directs et nombreux de voisinage et de commerce. La riche littérature de Raguse, qui est la littérature classique des Croates et des Serbes, s’est formée sous l’influence de la grande époque littéraire de l’Italie, et l’esprit de l’Italie a toujours été l’objet d’un culte empressé pour les savans croates. La liberté italienne ne leur était pas moins chère. En beaucoup d’occasions, ils ont fait pour elle plus que des voeux. Lorsque les fils infortunés de Bandiera, dans leur patriotique et généreux aveuglement, appelaient à la révolte, il y a quelques années, l’Italie encore indifférente, ils étaient, dit-on, poussés en avant par d’intrépides Croates, en tête desquels figurait le téméraire Albert Nugent. Lorsque la dernière révolution italienne a éclaté, un certain nombre d’Illyriens de la Dalmatie et l’écrivain croate Nicolas Tommaseo, depuis ministre vénitien, ne l’ont-ils pas servie avec enthousiasme ? Enfin, une démarche plus significative a été tentée officiellement en conformité de vœux avec la partie pensante du peuple croate. Avant d’entrer en lutte ouverte avec les Magyars, le métropolitain de Carlowitz, le vénérable Raiachich, voulant essayer des moyens de conciliation