Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

repris avec fureur, en peinture et en sculpture, mille idées disparates abandonnées ou décriées naguère, et destinées à l’être encore le lendemain même de leur triomphe. C’était un tumulte d’essais confus qui n’avaient d’analogie que par l’impuissance. Cette anarchie qui, dans les beaux-arts, a suivi la révolution de 1830, a été pour la peinture une époque meurtrière.

Il est vrai que la vieille école, s’arrogeant sans façon le nom d’école du beau, en vertu d’une loi académique inventée par l’érudition à la vue des premières fouilles d’Herculanum et de Pompeï, appliquait à tous les arts sa recette universelle, l’imitation de l’antique, un faux idéal parodié d’après les anciens, et l’on voyait constamment un perfide et maladroit souvenir des bas-reliefs et de la bosse s’interposer entre ses yeux et la nature. C’est ce qui fit dire, avec plus de justesse que d’urbanité, au peintre anglais Constable, le père de notre école moderne de paysage : « Ils font leurs tableaux avec des tableaux et des plâtres, et ne connaissent pas plus la nature que les chevaux de fiacre ne connaissent les pâturages. » Pourtant, ne le dissimulons pas, le tort non moins grand de l’ancienne école devant les novateurs pressés de jouir, c’est qu’elle n’enseignait qu’une voie lente pour arriver au savoir ; c’est que, par un principe sage, dont malheureusement elle appliquait mal les conséquences, elle pensait que le génie même n’est pas dispensé d’apprendre pour connaître, et que c’est dans une forte discipline de l’ame que les plus fiers talens, les esprits les plus originaux ont trouvé leur premier ressort. Robert en est l’exemple : si la nature, institutrice de sa première enfance, l’avait initié au sentiment du simple et du grand, si les champs et la montagne avaient fait de lui le peintre du peuple, c’étaient les enseignemens de David qui l’avaient rendu l’artiste consciencieux, sévère, en quelque sorte inexorable pour lui-même.

Ainsi, d’un côté agonisait l’école ancienne décriée ; de l’autre s’agitait l’école nouvelle, qui n’avait souci que de l’inspiration, et qui cependant avait son pédantisme et s’était faite antiquaire. En résumé, que gagnait-on au change ? La casaque et les fontanges au lieu de la tunique, le soulier à la poulaine ou la mule au lieu du cothurne, les Grecs modernes au lieu des anciens. Une exactitude de costumier suppléait au défaut de la composition. L’école avait bruyamment inscrit sur sa bannière : « Retour à la vérité, » mais sans daigner se souvenir que la vérité n’est que la réalité de choix, la réalité possible. Alors, incorrecte à plaisir, laide et triviale par goût, plus avide de commotions que d’émotions, la foule bouillonnante et capricieuse se précipita dans la réalité nue et grossière. L’école de David avait préconisé le dessin, rien que le dessin ; les nouveaux venus ne virent de salut que dans le faire impétueux, la fantaisie, l’effet et la verve, et honnirent le dessin,