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surtout qui plaît aux riches insulaires. Les Allemands ont aussi un goût particulier, et leurs artistes les contentent merveilleusement. Il n’y a pas jusqu’aux habitans des pôles qui n’aient leurs jeunes peintres, que naturellement ils protègent. Dire qu’il y a des Sibériens et des Cosaques qui sont dans les arts, c’est dire assez que tout le monde se mêle de faire des ouvrages pour ses nationaux, chose toute naturelle, et qu’on ne peut blâmer ; mais, par suite, cette masse considérable de tableaux produira une satiété universelle, comme elle existe déjà chez les Romains, parmi les seigneurs les plus riches, parmi ceux même qui placent leurs collections de tableaux anciens dans leurs plus beaux appartemens, et se retirent dans les mansardes pour laisser aux étrangers le libre accès de leurs galeries. Plus le concours de curieux est grand, plus ils sont honorés. Malgré cela, ils ne donneraient pas un iota pour encourager leurs artistes. Aussi, depuis dix ans, aucun de tous les princes romains n’a-t-il acheté un tableau. »

En général, tout ce que disait Robert des diverses écoles de peinture représentées à Rome est encore vrai de nos jours, et nous avons recueilli avec d’autant plus de soin ces jugemens qu’aujourd’hui même il n’aurait, à peu d’exceptions près, rien à retirer de cette opinion sévère exprimée il y a dix-huit ans.


IX

A l’apparition des Moissonneurs, l’œuvre non la plus parfaite du pinceau de Robert, mais celle où se résument avec le plus d’énergie son système de composition et les habitudes sérieuses de sa pensée, le cri d’admiration fut général. Ainsi, sans coterie, sans cabale, par la seule autorité de son talent, Léopold avait su conquérir une gloire à laquelle applaudissaient la plupart même de ses rivaux. Aux yeux des peintres alors en possession de la vogue, il pouvait bien avoir le tort du succès ; mais il avait aussi cet avantage inappréciable, que sa retraite à Rome l’avait rendu, comme le pensait Gérard, complètement étranger à toutes les querelles qui bouleversaient, en France, le domaine de la pensée et des arts, et que dès-lors il n’excitait les défiances de personne.

Les écoles de peinture, qui, depuis plusieurs siècles, s’entremêlent et se détrônent tour à tour, étaient, à cette époque, dans un moment de crise. On reniait les dieux classiques, et l’ancien comme le nouveau servait de base à des théories plus ou moins ingénieuses, que le temps a fait triompher par leur côté vrai, et qu’il a brisées aux endroits contestables. Chacun, bien entendu, voyait la vérité suprême de son côté, et la soutenait comme on soutient une faction. Tous les débris des anciennes palettes des temps gothiques et même du temps de Louis XV étaient revenus pêle-mêle sur la mer qui les avait engloutis. On avait