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pauvres pèlerines, et un sujet de Pifferari tout-à-fait identique à celui de Robert. Il est curieux de comparer ces deux derniers ouvrages. La conception de Wilkie est heureuse, l’ordonnance est d’un peintre ; mais son exécution manque d’accent, de profondeur et de puissance. L’oeuvre de Léopold a plus de foi, et témoigne d’un sentiment plus fort de l’Italie pittoresque et religieuse.

Plus puissant et plus sympathique encore était le sentiment excité par la Femme Napolitaine. Absorbée, anéantie dans une pensée de destruction et de mort, la pauvre mère est immobile, et si un enfant à la mamelle, qui repose près d’elle sur les débris, ne se jouait avec l’insouciance de son âge, rien là ne serait vivant que la douleur. C’est toujours le même ton local compris et rendu en maître, toujours la même poésie de dessin, le même pouvoir de modelé, la même harmonie générale ; mais on voit que, mis à l’aise par l’unité d’idée où il se complaît, le peintre a pu se livrer à toutes les beautés pittoresques de détail et d’ensemble qu’il lui était donné d’atteindre. Ce tableau me paraît être son chef-d’œuvre ; il est irréprochable, et, dans la tête de la mère surtout, l’artiste a su atteindre à ce grand goût, à ce pathétique d’expression qui semble n’être le secret que des maîtres de l’art. Les mêmes observations générales peuvent appliquer à l’Enterrement d’un aîné de famille de paysans romains, sujet dont la profonde tristesse révélait l’état de l’ame de l’artiste, mais dont l’austère ordonnance et la fermeté d’exécution attestaient une force de pinceau peu commune.

A côté de ces tableaux figurait, à la même exposition, celui des Petits Pêcheurs de grenouilles dans les marais Pontins. Le plus âgé tient en main sa ligne intacte encore, tandis que le plus jeune, penché vers la terre, gémit sur sa ligne brisée. Quelques esprits délicats virent dans le ton mélancolique et l’à-propos de cette composition une allégorie douloureuse où Léopold avait retracé le souvenir de la vie brisée de son frère Alfred.

Ce fut aussi dans cette même année 1831 que, cédant aux conseils du peintre Gérard, qui le pressait de peindre de grandeur naturelle, Léopold, dont toutes les figures, les Moissonneurs compris, n’étaient que de demi-nature, et le plus souvent même plus petites, peignit de grandeur naturelle une Tête de femme et un Jeune Grec aiguisant un poignard[1]. Ces essais étaient heureux ; la tête de femme surtout respirait un charme inexprimable. Ce n’était qu’un portrait, qu’une étude, et par

  1. « On a trouvé que la couleur et l’exécution sont assez vigoureuses, et j’ai cherché un dessin ferme et positif. D’ailleurs, mon modèle, ayant une très belle tête, m’a servi plus qu’un autre qui m’eût laissé avec le désir de faire quelque changement de mon chef. J’ai eu beaucoup de plaisir à faire ce tableau de grandeur naturelle, et je vous avoue que j’aimerais quelquefois à changer comme cela mes occupations. ». (Lettre de Robert à M. Marcotte, 1829.) Cette figure de Grec fut exposée en 1830 à Berne par le propriétaire, M. Fritz Pourtalès, et valut à l’auteur une médaille d’or.