Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 24.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de Raphaël, mais il n’a pu les digérer. » C’était cependant là l’homme qui tenait le sceptre des arts dans la patrie de Michel-Ange et de Raphaël ! Également injuste envers M. Ingres, il lui était arrivé le même malheur qu’à Diomède, qui, en poursuivant un ennemi devant Troie, se trouva avoir blessé une divinité. Toujours, comme l’académicien de Venise, il avait à la bouche : « Les maîtres, » et Robert : « La nature. » Ces deux principes, qui assurément ne devraient point s’exclure, s’excluaient l’un l’autre quand ils devenaient les mots d’ordre de deux systèmes ennemis.

Et qu’on ne croie pas pour cela que Léopold n’eût point fait des grands modèles une étude profonde, et ne se fût pas imbu du génie antique en interrogeant les restes divins de la statuaire grecque. Les anciens, il le savait autant que personne, sont ceux qui ont le mieux compris et appliqué cette vérité éternelle : « que la fin de l’art est l’expression de la beauté morale à l’aide de la beauté physique, » et c’est dans ce sens qu’il me répétait un jour ce mot de Winckelmann : « que la contemplation de l’Apollon du Belvédère le rendait meilleur. » Mais Rome est le tombeau ou le piédestal des intelligences : si les faibles succombent à l’épreuve, les forts y grandissent après avoir d’abord douté d’eux-mêmes ; témoin Robert. L’étude de l’antique lui avait appris à lire dans la nature les beautés sans nombre qu’elle recèle ; et les efforts heureux qu’il a faits pour élever le caractère de ses œuvres à la dignité simple des grands modèles disent assez s’il les avait compris. Seulement, en sa ferme organisation, l’invasion grecque et romaine n’avait point détruit la virginité du naturel, et, ce qu’il redoutait avant tout, c’était l’appauvrissement du génie natif par le pastiche. Copier et se mouler sur autrui n’est point d’un artiste, c’est contrefaire misérablement comme ces mimes et baladins des funérailles de l’antiquité.

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques ;

ce vers exquis d’expression, d’André Chénier, était la devise de Robert, amant passionné du vrai. Il vient, en effet, pour les esprits droits et sûrs, un temps où l’on trouve la nature si belle, si franche, si liée, même dans ses défauts, qu’on penche à la rendre telle qu’on la voit, et c’est l’extrême difficulté qu’on rencontre à être assez vrai pour plaire, en la suivant de près, qui seule en puisse détourner.

« Nos maîtres David, Girodet, etc., dit Robert, n’ont pas formé d’élèves, parce que l’étude des arts est devenue bien différente. On pense tant à l’intérêt maintenant ! Les maîtres ont des élèves pour se faire de l’argent, et non pour se faire aider à des tableaux. C’est l’argent qui compte ; mais je ne puis concevoir qu’on ait un atelier d’élèves faisant chaque semaine, depuis le 1er janvier jusqu’au 31 décembre, une figure nue, tournée, retournée et contournée. Il y a là une fausseté